Dans la tête d'Alex Garland : un chef d'oeuvre unicellulaire !!!

Alex, Alex, Alex ^^....décidément, je suis un mec qui a le chic pour partir du mauvais pied avec la filmographie de réalisateurs pourtant acclamés par la critique ! Pour la 3ème fois ça me fais le coup. D'abord Del Toro avec qui j'ai pris un mauvais départ en voyant trop jeune le macabre conte horrifique espagnol "Le Labyrinthe de Pan" (2006)....avant de d'être soufflé par son "Pacific Rim" et "La Forme de l'Eau", puis il y a eu Nicholas Winding Refn avec qui ça a très mal commencé entre nous à cause de son "Drive" (2011)...avant que je me réconcilie totalement avec lui après ma découverte de l'éblouissant diamant esthétique wtf "The Neon Demon" (2016), et maintenant Alex Garland.
Alex Garland est un réalisateur Britannique novice encore débutant, romancier de formation, qui avait pourtant bien attiré l'attention en juin 2015 avec le succès critique de son second film "Ex-Machina"...qui s'était même vu récompenser par la suite par l'Oscar des meilleurs effets visuels à la 88ème cérémonie des Oscars en 2016. En bon romancier et intellectuel qu'il est, Garland avait démontré à travers "Ex-Machina" qu'il était un bon élève et connaissait sur le bout des doigts ses classiques; hélas, "Ex-Machina" fut pour moi une bien amère déception, à défaut de connaître de fond en comble les Nouvelles littéraires sur l'A.I d'Asimov sur le Cycle des Robots, les 3 lois ect, Sir Alex se contenta de rabibocher sommairement-scolairement l'exosquelette d' "I Robot" de Proyas (2004) en noyant toute réflexivité prétendu dans des dialogues ivres morts entre Oscar Isaac et Domhnall Gleeson qui pendant 1h50, passèrent leur temps à s'enfiler des bières.
A partir de là, dur pour moi d'avoir envie de retrouver ce réalisateur qui m'avais tant gonflé avec son film Asimovien pseudo intellectuel ! ^^
Ce n'est donc pas de gaieté de coeur que je me suis lancé dans "Annihilation", néanmoins, poussé par les bons retours (et par le synopsis vite fait), je me suis lancé dans le visionnage du nouveau film d'Alex.
Bon, "Annihilation", troisième film d'Alex Garland après "Buck Murphy" (2002) et "Ex-Machina", dont il est également réalisateur (le gars a aussi une petite carrière de scénariste, notamment sur "28 Jours plus tard" de Danny Boyle en 2002 et "Sunshine" en 2007), adapté du roman éponyme de Jeff VanderMeer, nous raconte l'histoire de Lena, une biologiste et ancienne militaire. Lorsque son mari (également militaire) revient d'une mission commando sans le moindre souvenir, Lena le conduit alors à l'hôpital lorsque ces derniers sont interceptés par les autorités et endormis. Lena reprend ses esprits aux côtés d'une psychologue dans un étrange centre, a proximité d'un immense champ de force aux couleurs gondolantes. La jeune biologiste se voit alors conviée à participer à une mission commando en compagnie d'autres femmes, visant à pénétrer et l'intérieur du champ de force et à l'explorer afin de découvrir la source du phénomène inconnu. Cependant, il semble qu'il s'agisse de l'endroit ou son mari est allé....est et revenu sans le moindre souvenir de ce qu'il a vu ^^.
Que vont-elles découvrir à l'intérieur de la bulle ? Quel est l'origine, la raison de ce phénomène ? Un tel phénomène est il seulement explicable par la science ?? Lena et les autres n'en sortiront pas indemnes.
Voilà pour le pitch global.


Verdict : Alors là...........Garland m'a complètement pris par surprise ! BAM ! Bonne grosse mandale qui réveille sur la joue !
Je m'attendais vraiment pas à ça, je ne l'avais vraiment pas vu venir, même de loin !! Pfffiouuu, oh là là, quel film incroyable !! Et moi qui pensait que les films Netflix n'étaient pour la plupart que des série B sans moyens, dignes de téléfilms M6, là je viens d'avoir la preuve on ne peu plus clair que non. Ca va être compliqué mais compliqué de parler d' "Annihilation" clairement et synthétiquement sans s'égarer tant le film tant le fond, la forme, la réflexivité, les thématiques sont d'une profondeur intellectuelle abyssale !! "Annihilation" est un véritable casse tête, une énigme en soit, un rubix cube qu'on tourne et qu'on retourne tant il est flexible et insaisissable et tant la puissance qui le traverse est transcendante...atteignant presque le métaphysique !!
"Annihilation" est un pur OVNI dans le cinéma de Science Fiction, un film savant non identifiable, plein de mystères, indécis à la croisée des genres de cinéma. Entre Science Fiction, Thriller, Aventure, Epouvaante-Horreur, le film est une véritable anguille, maline et intelligente, qui ne se laisse jamais prendre dans les mailles du filet, une peinture abstraite.
Ce film est quasiment, au delà de la métaphore, un être vivant composé de noyau, de cellules, de tissus, de membranes suivant un métabolisme naturel.
L'histoire, le scénario est un noyau autour duquel les genres gravitent; SF, Horreur....tous sont des cellules obtenues de la division d'une seule et même cellule oeuf à la base de tout. La Science Fiction, le savoir Asimovien du romancier-réalisateur est la cellule mère qui féconde autour du film les autres cellules-genres. Le film n'a pas d'identité pointée, définitive nan, il est en gravitation continue, un organisme filmique en mutation constante, jamais cloîtré dans un genre près-établi, jamais coincé par les barrière d'une convention oppressante quelconque, le film n'a pas de "sexe", il se travestit et embobine, nous met à l'épreuve visuellement et émotionnellement !
Le scénario d' "Annihilation" est absolument imprévisible, à l'image du champ de force appelé phénomène de "Miroitement" dans le film, toute prévisibilité apparente n'est que mirage et s'efface bien vite. Le spectateur n'est plus sûr de rien, plus sûr de ce qu'il regarde au bout de 15 petites minutes ^^; sa profondeur se trouve dans sa plus grande simplicité et il ne faut pas se fier aux apparences.
Intriguant, fascinant, beau et onirique d'un côté...et pourtant sur l'autre facette de la même pièce: macabre, flippant, dérangeant, pendant 1h55, Alex Garland nous balade d'émotion en émotion et a un talent pour nous faire passer a l'émotion contradictoire de manière brutale sans avertissement.
Presque semblable à un conte par moment, mister Alex laisse libre cours à ses influences. On ressent une ressemblance scénaristique avec "Alice au Pays des Merveilles" de Lewis Carol (tiens tiens, un roman anglais ^^) dans la dimension psychologique. On le comprend bien vite, Garland nous met au parfum a travers les dialogues et les mystères entourant le miroitement, tout le film s'articule autour d'une dimension et d'une réflexion psychologique !


Au cinéma, on dit souvent que l'environnement caractérise les personnages, eh bien ici c'est tout à fait le cas. L'environnement sauvage et indompté qu'est la jungle à l'intérieur de l'immense champ de force circulaire représente/traduit concrètement à l'écran l'esprit des personnages. L'intérieur du miroitement EST l'intériorité des personnages, leur esprit dans lequel les héroïnes se perdent. Tout comme la petite Alice qui se perd dans les limbes de son esprit dans le roman de Carol, les héroïnes sont toutes des Alice en train de se perdre dans leur propre cauchemar; la jungle, les marécages, le sanglier zombie, caractérise l'errance des personnages sombrant dans la folie et le désespoir, une transposition concrète de leur état psychologique à travers l'environnement. On le comprend très bien car à vu d'oeil, cette immense bulle bleu-pourpre-mauve a tout d'irréel, d'anti-naturel.


Une dimension psychologique complètement appuyée par les couleurs majoritairement froides, le bleu comme étant symbolique de rêve et de spiritualité, le vert qui au théâtre est une couleur associée aux superstition, le violet, couleur associée à la psychologie et à la mémoire. Toutes ces couleurs colorient cette toile filmique abstraite, cette "peinture de l'Esprit".
On a ici une fusion entre la SF dépressive/pessimiste de Stanley Kubrick et le Fantastique onirique expressionniste de Tim Burton ! Une chimère, un croisement entre "Big Fish" (2003) et "2001: l'Odyssée de l'Espace" (1968). On ressent aussi une influence marquée dans le registre Science Fiction des Scott/Spielberg/Nolan/Villneuve,
"Alien: le huitième passager" (1979), "Rencontre du Troisième type" (1977), "E.T" (1982), "Interstellar" (2014), "Premier Contact" (2016). Par dessus le marché, (comme si les influences n'étaient pas assez nombreuses déjà), Garland munit son récit d'une esthétique partageant quelques traits standards avec l'ADN des jeux vidéo ("Tomb Raider", "Uncharted", ou les jeux FPS). Là encore c'est tout sauf un hasard puisque Alex Garland a été....développeur de jeux vidéo (le CV de ce mec c'est du jamais vu o_O ^^).


En fait, je ne crois pas extrapoler en insinuant que le champ de force "Miroitement" du film est non seulement une matérialisation de l'esprit, la folie des protagonistes féminins du commando....mais en plus, en poursuivant dans ce sens, on pourrait même tenter de supposer....une transposition de l'esprit même du réalisateur !! (C'est compliqué et je vous comprends, je vais essayer d'être le plus clair possible ^^) Au cinéma, la question du point de vue est à ne jamais perdre de vue; dans un film on a le point de vue: du personnage, du spectateur et du réalisateur. Ici, nous observons dans la fiction l'esprit des personnages, mais le réalisateur porte lui aussi un point de vue sur l'état psychologique (supposé matériel ici ^^). Ainsi se tisse un vecteur entre les points de vue et à travers le point de vue du réalisateur sur ses personnages, on peut émettre l'hypothèse qu'on se trouve étroitement...dans l'esprit du réalisateur, dans son esprit ou toutes les références de tous les genres se mélanges dans un chaos ordonné !! Nous sommes dans la tête d'Alex Garland en étant dans la tête des personnages, tout est lié !


Comme dirait le philosophe Français Gilles Deleuze (1925-1995) dans ses textes sur l'Art, le but de l'Art et de structurer et de donner à voir le chaos (ce qui n'a pas de forme défini), "Annihilation" c'est totalement ça, le film est un magnifique chaos d'idées, une réflexion sur la psychologie, l'Esprit, l'Art et le Cinéma, tout ça à l'extrême ! Ici, la réflexion ultime du film s'articule entre une comparaison métaphorique continue entre


la Folie/L'Esprit et le Cinéma. Garland est ici un véritable visionnaire qui vient juste de prendre une grosse longueur d'avance sur ses maîtres. Le cinéma peut il/est il le reflet, l'incarnation de la folie de l'esprit humain ? Ou bien la Folie est elle du Cinéma ? La comparaison avec le cinéma a tout lieu d'être puisque à la fin du film, Lena trouve une caméra dans le phare, de plus, le fait que le phénomène inexpliqué s'appel le "miroitement" n'est pas anodin puisque l'écran de cinéma a toujours été théorisé comme étant un miroir de la vie, un miroir de l'imagination et de l'esprit. Edgar Morin (1921-), dans son texte "Le Cinéma ou l'Homme imaginaire" (1956), avait théorisé l'hypothèse que si le cinéma est à l'image de notre psychisme, alors notre psychisme est à l'image du Cinéma.


Le film a également une époustouflante dimension de réflexion métaphysique et dont la fin du film est encore plus énigmatique que celle de "Blade Runner" de Ridley Scott.


Lorsque dans le phare, Lena assiste à la naissance cellulaire de l'extraterrestre métallique sans visage. Sans doute une des plus belles et des plus profondes scènes qu'on ait vu dans un film de SF depuis fort longtemps. Ici, Garland va même jusqu'à matérialiser le métaphysique à travers cet être sans agressivité imitant les faits et gestes de Lena. Il est question de mettre l'homme au centre de thématiques métaphysique, d'interroger le rapport entre l'Homme et le Divin, entre la Science et le Divin, une bataille du spirituelle contre le rationnel au centre de la thématique d'une cellule unique à la source de tout. Le phare dans "Annihilation" serait en quelque sorte l'inconscient à l'intérieur de la sphère paranormal qui serait l'esprit. Garland laisse entendre que le fruit de la connaissance est dans l'inconscient, qu'accéder à l'inconscient serait de l'ordre du Pêché (pêché évoqué plus tôt déjà dans la séquence de l'enregistrement ou le soldat s'ouvre le ventre et découvre qu'il a un serpent à la place des entrailles).


Niveau jeu d'acteur, Nathalie Portman ("Star Wars" I,II, III, "Léon", "Black Swan", "Jackie") livre une performance tout à fait juste, bonne perf également de la part de Tessa Thompson, l'actrice de "Creed" (2016) et "Thror Ragnarok" (2017) continue d'améliorer ses talents en diversifiant ses registres dans différents types de prod auxquelles elle prouve qu'elle sait tout à fait s'adaptée.
Bon, je pense en avoir laaaaaargement dit assez, en conclusion, "Annihilation" est une immense surprise, un véritable coup de génie inattendu qui m'a complètement assommé et retourné les tripes, un chef d'oeuvre unicellulaire !!!

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le 13 août 2018

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L_Otaku_Sensei

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