Annette


A l’instar de Beethoven dont certains affirment qu’il était tellement sourd qu’il a cru toute sa vie qu’il faisait de la peinture, Leos Carax, cinéaste épisodique, confie avoir toujours rêvé d’être compositeur. Et les frères Mael, musiciens plus connus sous le nom de leur groupe, « Sparks », ont, quant à eux, toujours rêvé de faire du cinéma.
Cet heureux alignement de rêves complémentaires a donc naturellement conduit à l’association de Carax et des Sparks (en plus ça rime) pour nous proposer Annette, la comédie musicale évènement présentée en grandes pompes en ouverture du Festival de Cannes 2021, après report pour cause de pandémie.
Les Sparks apportent donc à cette œuvre le scénario et la bande-son, et Carax s’occupe quant à lui du visuel et de la mise en scène.
Cela suffit-il à faire un bon film ? Malheureusement, pas vraiment.
Cette histoire d’amour vache et meurtrier entre Henry McHenry, un comédien (pas drôle) de stand-up, interprété par Adam River, et Ann, une Diva (sans aura), interprétée par Marion Cotillard, nous éblouit parfois, mais nous désole souvent.
Fruit de leur amour sans nuages (chanson-titre « we love each other sooooo much »), Henry et Ann ont une fille, on la prénommera donc Annette. Eut-ce été un garçon, on l’aurait sans doute prénommé Henriquet. Mais c’est une fille. Enfin, pas vraiment. Parce qu’en fait Annette est une poupée, d’inspiration Pinocchienne pour la symbolique, mais qui en vrai ressemble plutôt à Chucky.
Pourquoi une poupée ? Sans raison ni intérêt particulier, si ce n’est peut-être que, il y a bien longtemps, les Sparks avaient basé le clip d’un de leurs plus grand tubes (à l’époque où ils faisaient encore des tubes), « when I’m with you » (produit par Giorgio Moroder), sur le thème de la poupée qui parle, et que ça avait cartonné sur MTV et au hit-parade. Va donc pour la poupée, après tout c’est pas plus dur à élever qu’un tamagochi... Sauf quand un des parents s’assoit malencontreusement sur la poupée oubliée sur le canapé du salon, mais il suffit de lui remboîter énergiquement son petit bras en bois pour que tout rentre dans l’ordre.
Bon, donc, au début Henry et Ann s’aiment vraiment beaucoup et se promènent dans la nature en se tenant par la main et en fredonnant, c’est vous dire s’ils ont le béguin.
Leos, avec ses gros sabots nous fait quand même sentir que le ver est déjà dans le fruit puisque pendant cette innocente promenade musicale et bucolique, Henry fait mine d’étrangler Ann, mais non, c’était une étreinte.
Toujours est-il qu’après la lune de miel, ça se gâte, les Sparks ont retenu la leçon de leurs compères des Rita Mitsouko avec qui ils ont naguère chanté sous la douche : les histoires d’A. finissent mal (en général).
Henry, lui si gentil et si beau avec son beau casque à visière genre Daft Punk (admirateurs de Giorgio Moroder), qui emmenait Ann faire de grandes ballades en moto (sans casque), devient taciturne et irascible, si bien qu’il en arrive à mettre de travers les jolis cadres qui décorent la montée d’escalier de leur sublime villa hollywoodienne (avec piscine) dans la forêt.
Deux explications à ce changement soudain d’humeur : l’alcool, Henry boit plus que de raison, et le fossé qui se creuse entre le succès phénoménal d’Ann dont la carrière connaît une ascension fulgurante, et celle d’Henry, qui sombre doucement.
Alors bien sûr, leur couple bat un peu de l’aile, d’autant que les magazines et chaînes TV pipole ne leur laissent guère de répit : le couple-star est constamment sous les feux des projecteurs et des objectifs des paparazzi. Ah, c’est pas facile la vie des vedettes...
Pour ressouder leur couple, Henry et Ann décident de passer quelque temps avec Annette sur leur sublime yacht, loin de la société qui les agresse, où ils pourront enfin se retrouver dans l’intimité et renouer les fils de leur amour jadis si beau.
Manque de bol, ils ont du oublier de consulter la météo Marine avant de larguer les amarres, et les voilà donc partis sur l’océan pacifique un jour de tempête, c’est balot...
C’est alors qu’on arrive dans THE scène emblématique du film, celle de « ladansesurlepontdanslatempête », qui a donné naissance à l’affiche du film, c’est vous dire son importance.
Apparemment, Carax n’a pas obtenu le budget nécessaire pour louer le mega-yacht de Bolloré, mais qu’à cela ne tienne, c’est là qu’intervient le génie de la mise en scène.
Pour nous faire palper la violence de l’océan, il commence par filmer le hublot d’un lave-linge (en marche) censé être celui de la master-cabin du yacht.
Et, paroxysme de la suggestion, l’accessoiriste prend soin de placer un clown culbuto sur le cosy du lit (oui, c’est bien un lit avec cosy, certes assez inattendu sur un mega yacht) dont les mouvements nous indiquent sans équivoque à quel point le bateau tangue sur les flots déchaînés.
Ça tangue d’ailleurs tellement qu’au bout d’un moment Ann, légèrement barbouillée, gagne le pont extérieur du yacht pour s’assurer qu’Henry tient fermement la barre (ils ont oublié de prendre un équipage, à moins que ce soit pour être plus tranquilles ?).
Et là, elle retrouve un Henry passablement éméché, qui prétend pourtant ne pas être ivre, et qui pour le lui prouver l’invite à danser une valse sur le teck humide et rendu glissant par les embruns. Un challenge.
Des assistants soigneusement cachés secouent violemment le décor qui représente le pont du yacht, pendant que d’autres balancent moult seaux d’eau sur les héros romantiques tournoyant, presque autant que la caméra. Autant dire que, dans de telles conditions, la valse viennoise d’Henry et Ann est moins bien réglée que celle de Lancaster et Cardinale dans Le Guépard.
Après quelques pas de valse, Ann commence à se les geler un peu, on a beau être dans l’océan pacifique, ça caille quand même les jours de gros temps. Et pour une Diva, danser pieds nus sous la pluie c’est le meilleur moyen de choper une laryngite carabinée, et de ne plus pouvoir chanter pendant un sacré bout de temps. Et la voix, pour une Diva, c’est sacré, ce qu’elle ne manque pas de rappeler à Henry. Mais lui, il avait envie de danser, du coup cette remarque égoïste l’exaspère passablement et sous le coup de la colère, il balance Ann par dessus bord, faut croire qu’elle l’a bien cherché...
Toujours est-il qu’avec ce petit intermède chorégraphique, évidemment il n’y avait plus personne à la barre, et par un temps pareil ça ne pardonne pas : le yacht sombre bientôt corps et biens, Henry a juste le temps de mettre une chaloupe à la mer, d’y embarquer Annette et de gagner la plage la plus proche, sur laquelle ils s’échouent bien trempés en pleine nuit, au clair de lune.
Pleine lune qui, comme chacun sait, favorise l’apparition des spectres et ça ne manque pas : le fantôme d’Ann, noyée, apparaît dans sa grande robe diaphane et mouillée. Passablement rancunier, le spectre, tel une statue du Commandeur, annonce à Henry qu’il va lui pourrir grave la vie pour le restant de ses jours, via leur poupée-fille Annette (du coup on revient dans le trip Chucky, ce qui justifie finalement la physionomie étrange retenue par les marionnettistes).
Des policiers perspicaces ne manquent pas d’interroger Henry, en faisant clignoter dans ses yeux les lampes du commissariat au rythme de la musique des Sparks. Mais Henry garde son sang-froid malgré ce traitement barbare, et la Justice conclut bientôt au regrettable accident de navigation. Dossier classé.


Mais la gent féminine ne l’entend pas de cette oreille, et voilà bientôt Henry balancetonporisé par 6 de ses anciennes girlfriends naguère violentées (dont la sirupeuse chanteuse belge Angèle, qui atterrit dans le casting on ne sait comment, on se demande même si elle s’est trompé de porte ?), qui lui chantent une petite chanson accusatrice des Sparks, façon Académie des 9 (mais à 6).
Cet incident ravive forcément les soupçons de meurtre à son encontre.
Ann et Henry ont donc été broyés par le show biz (et la bibine), Annette va s’y retrouver happée à son tour, cruel atavisme des enfants de stars, comme me le rappelait récemment Laura Smet.
On découvre que quand Annette reçoit de la lumière (quel symbole !), elle est soudain métamorphosée façon Gremlins qui reçoivent de l’eau, sauf qu’elle ça la rend pas agressive mais ça la fait chanter (presque) aussi bien que feue sa maman, Ann.
Du coup cela nous vaut quelques poncifs sur l’exploitation des enfants stars par la Société du Pestacle, alors qu’Annette devient une enfant-star planétaire à la Judy Garland, et passe son temps avec Papa entre les jets privés et les duty-free d’aéroports où l’acclament des foules en transe, de Calcutta à Tokyo en passant par Paris.
Si Annette ne finit pas un jour sous curatelle comme Britney Spears, ce sera vraiment un coup de bol...
Le succès et l’argent ne sont malheureusement pas rédempteurs, et le mal qui habite Henry continue de le ronger, avec un nouveau passage à l’acte meurtrier. MM. Carax et Mael savent bien qu’une grande piscine privée et une villa 20 pièces dans les hauts de Los Angeles ne suffisent pas au bonheur, et ils nous l’expliquent elliptiquement avec une finesse toute relative.
Mais à un moment, c’en est trop, la créature se révolte telle Frankenstein contre son démiurge. Annette fait son coming out et c’est, évidemment, au cœur même d’Hollywood, city of sins, non loin du Sunset Bd ou plutôt, en l’occurrence, de Mulholland Drive, que la poupée, qui ne veut plus être une marionnette, sonne le glas des méfaits de son père célibataire (ou, plus précisément, veuf).
Néanmoins moins rancunière que sa fantôme de maman, Annette poussera tout de même la chansonnette une dernière fois avec Papounet, qui profitera de l’occasion pour lui faire enfin passer ses ultimes messages éducatifs (il était temps !), qui s’adressent surtout, on l’aura compris, aux spectateurs que nous sommes : pas de sympathie pour les abysses (A-B-Y-S-S), au risque d’y sombrer piteusement comme l’a fait Henry.
Rassérénée de cet enseignement paternel enfin dispensé, Annette peut alors sortir de son petit corps de bois et devenir une vraie petit fille, on en revient donc encore à Pinocchio, mais dans une esthétique lourdingue plus Garronesque que Comencinienne. Exit Chucky quoi qu’il en soit.
Moralité : what’s your fucking problem ?

VoilierYorel
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le 10 juil. 2021

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Voilier Yorel

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