Il est toujours difficile, pour parler d’un film, de confronter les sensations des uns à celles des autres. Je crois volontiers sur parole ceux qui parlent de tourbillon sensoriel et d’expérience époustouflante, et encore plus ceux qui ont expérimenté un rare sentiment mêlant le malaise, l’ennui et l’agacement.


La vraie question qu’il faut creuser est pourquoi. Car il est évident que le film cherche à provoquer un abandon de soi du spectateur dans ce flux d’images et de sons. C’est précisé dès le début d’ailleurs, où Carax lui-même donne le manuel d’utilisation pour qu’on arrive à trouver le film génial, procédé déjà présent moins explicitement dans Holy Motors.
Car oui, au cas où tu ne le saurais pas, le film de Carax est déjà génial avant qu’il ne soit vu, au spectateur la charge de le confirmer en « s’abandonnant » et en « lâchant prise », version snob du « mettre le cerveau en off » avancé par les fans de blockbusters.


Pourquoi, me demandais-je donc, avant que ma passion pour la pédagogie ne fût, comme d’habitude, interrompue par mes pulsions de méchanceté gratuite. Eh bien dès le début, j’ai vu que le film tentait d’impressionner par son mouvement général, et non par son contenu. Car de ce point de vue-là, le film est vraiment affligeant. Absolument rien ne m’a surpris, ne m’a accroché, tellement j’ai eu l’impression que tout est extrêmement balisé : les personnages, leur évolution, les répliques, et surtout le visuel. Rappelez-vous des scènes et des plans d’amour intime entre les deux époux et dites-moi s’il n’y a ne serait-ce qu’un plan qu’on n’a pas déjà vu 1000 fois. Carax ne filme pas de manière originale car pas de manière personnelle, parce qu’il n’a strictement rien à dire sur le monde, le film se passe d’ailleurs dans un monde qui n’existe pas, et dont le seul attrait (pour certains) est la pseudo-poésie visuelle ténébreuse et chic, et l’aura de « poète maudit » de l’auteur dans laquelle se reconnaît et se complaît une partie de la critique par pur effet de consanguinité sociologique.


La vraie question qu’on doit se poser dans le débat à propos du film c’est pas si on s’est laissé prendre ou pas au jeu, mais si on accepte l’esbroufe formelle en fermant les yeux sur le vide absolu de l’œuvre. Car si on n’arrive pas à être ému par un film dont le matériau principal est le néant et la pose, on le voit pour ce qu’il est : une machine spectaculaire hystérique et ridicule qui tourne à plein régime mais ne finit par brasser que du vent.

Mr_Purple
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le 10 juil. 2021

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Mr Purple

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