Dire d'un film que son sujet principal est le cinéma est presque un lieu commun. En l’occurrence, c'est presque faux ici. Annette nous parle du spectacle vivant avant tout. A travers une tragédie familiale, classique au sens littéraire du terme, Leos Carax et Sparks nous invitent à nous plonger dans l'infinité des déclinaisons scéniques d'une histoire éternelle.


Annette, c'est d'abord une claque visuelle. L'incroyable photo se joue de lumières très claires et contrastes marqués venant dégager des verts jamais vus. Elle est volontairement tâchée dans sa perfection par des effets de décors voir des effets spéciaux outranciers et sur-appuyés, qui viennent contrecarrer la puissance technicienne, visible à travers les usages très démonstratifs du cadre, d'un surlignage amoureux de l'artisanat.


Dans cet écrin de velours qui sent la poussière et le tabac froid se déroule le drame d'une relation toxique où Adam Driver est écrasant de charisme, comme son rôle écrase Marion Cotillard, dont le personnage est superficiel et n'est vu qu'à travers l'amour que lui porte les autres. Comme tous les personnages secondaires, elle se débat pour exister et survivre face au personnage de Henry, avec lequel Carax développe une certaine forme d'identification glauque. Ce salop mal-aimable et sans rédemption, orgueilleux, égoïste et violent, ne se voit proposer aucune empathie. Mais il est aussi un monstre magnétique et attirant, comme les abîmes dans lesquelles il se dit empêtré dans une veine justification.


Le film a la capacité a de mettre en scène les artifices du spectacle en eux-mêmes. Tous les décors sont des scènes, la vie est un spectacle et c'est donc normal que les dialogues soient des chansons, ou plutôt des dialogues chantés, brillants, puissants, reprenant à la fois l'esthétique chorale et orchestrée de la comédie musicale mais en y appliquant des structures plus découpées et des mélodies audacieuses.


Objet spectaculaire de cinéma vivant, Annette est une tragédie brillante dans sa forme, et puissante dans sa chair. C'est une œuvre totale qui stimule les sens avec une rare vivacité.

Mafelele
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le 13 sept. 2021

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Antoine Maf

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