Le but d'un éclaireur n'est-il pas se s'aventurer en premier sur des chemins inconnus afin d'éclairer ceux qui le suivent sur les voies à emprunter et celles à éviter ? Si oui alors aujourd'hui je vais enfin faire mon boulot. Peut-être. Si j'écris peu de critiques, c'est parce que n'ai pas si souvent l'habitude de tomber sur des films que quelques centaines, voire plus, de senscritiqueurs n'ont pas déjà bien analysé et critiqué en long, en large et en travers et que j'ai rarement le sentiment d'avoir à dire quelque chose qui ne l'a pas déjà été. Un petit avis rapide en dessous de ma note - parce qu'une note seule ne veut finalement pas dire grand chose - est souvent bien suffisant pour me placer chez les fans ou les détracteurs d'un film et dans un sens c'est déjà bien assez vaniteux. Mais comme c'est pas tous les jours qu'on tombe sur un film qui a non seulement aucune critique mais également aucune note, je me décide à pondre un petit quelque chose. D'autant que cela me permettra de parler théâtre et d'un mec que j'aime bien, Bernard Shaw.


« Acerbe et provocateur, pacifiste et anticonformiste », voilà comment est décrit le dramaturge George Bernard Shaw (1856-1950) sur wikipédia. C'est le producteur Gabriel Pascal qui s’emploiera à le faire connaître aux amateurs de cinéma à travers plusieurs adaptations. D'abord en 1938 avec Pygmalion, mettant en scène Wendy Hiller en Eliza Doolittle avec une fin amputée de tout le cynisme de la pièce mais cela n'est rien comparé à la manière dont le ton sera retouché pour devenir une comédie musicale à succès à Broadway, My Fair Lady avec Julie Andrews dans le rôle principal qui sera repris au cinéma comme vous le savez sûrement par Audrey Hepburn. Pascal réalisera lui-même les deux suivantes, Major Barbara en 1941 et surtout César et Cléopâtre avec Claude Rains et Vivien Leigh dans les rôles titre en 1946. Leigh reprendra le rôle sur scène au début des années 50 en donnant la réplique à son mari Laurence Olivier et alternant cette pièce et le Antoine et Cléopâtre de Maître Shakespeare. Les deux premiers films, Pygmalion et Major Barbara me restent encore inconnus mais c'est après avoir vu cette troisième adaptation que j'ai découvert l'existence de cet Androclès et le Lion, produit par Pascal et réalisé par Chester Erskine (ainsi que par un Nicholas Ray non-crédité). J'ai mis du temps à mettre la main dessus, mais il a récemment été rendu disponible en vo sur un site que vous connaissez certainement, cela explique sûrement l'absence de notes et de critiques.


Bon ben parlons de ce film du coup, on est là pour ça... Je suis bien embêté parce que pour bien faire mon boulot d'éclaireur, j'aurais voulu pouvoir être catégorique : « Regardez ce chef d'oeuvre, c'est un ordre ! » ou « Fuyez pauvres fous ou les flammes de l'enfer vous consumeront ! » mais comme le montre ma note je suis indécis. « Pfff tout ça pour ça ! Quel piètre éclaireur cet hamburger parlant ! » En fait ce film semble être systématique des adaptations de Gabriel Pascal qui consiste à gommer un peu de l'acidité de Shaw pour rendre les films plus légers, drôles et accessibles à un plus grand public. Certains crieront à la trahison, d'autres plus raisonnables rappelleront que malgré quelques rechignements, les choix de Pascal ont toujours fini par être validés par son mentor. Si ça n'en fait pas l'un des grands péplums de l'histoire du cinéma, ça reste tout de même un agréable divertissement de 90 minutes où l'on peut toujours se délecter de la beauté presque divine de Jean Simmons et s'amuser de la malice avec lesquels les effets spéciaux du lion ont été plus ou moins réussis compte tenu du faible budget. La fin, notamment, est très drôle avec un lion qui semble tout droit sorti du monde fantastique d'Oz ou des anciennes illustrations des chroniques de Narnia. Ne vous attendez pas à un spectacle épique à la Ben-Hur ou à la Spartacus typique de l'époque. C'est un joli conte sur fond de persécution des chrétiens par l'Empire romain, d'ode à la liberté de penser et de justice presque divine elle aussi (la pièce étant elle plutôt une critique de l'hypocrisie de l'Église chrétienne qui quelques siècles après cette histoire, lorsque Shaw écrira la pièce tentera à son tour d'imposer ses croyances, un propos plus pertinent en 1912 à la sortie de la pièce qu'en 1953 à la sortie du film). La moralité de l'histoire ici est plus proche du mythe d'origine que de la pièce de Shaw ce qui pourrait être source de déception chez certains malgré de longs dialogues entièrement repris de la pièce. Nul doute qu'un peu plus de sérieux et un fond aussi travaillé que l'humour aurait pu donner une oeuvre bien plus marquante qui ne serait pas tombée dans l'oubli. Bref n'écoutez pas mon avis, faites vous le vôtre et pis c'est tout !

BigMacGuffin
6
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le 8 avr. 2017

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