Andrei Roublev est le deuxième long-métrage d'Andrei Tarkovski où il co-écrit le scénario avec Andrei Kontchalovski sorti en 1966 avec Anatoli Solonitsyne, Nikolai Bourliaiev et Ivan Lapikov dans les rôles principaux.


À travers, une série de tableaux, ce film raconte le périple dans la Russie moyenâgeuse du peintre Andreï Roublev. Tout juste sorti du monastère, cet artiste va se confronter à la beauté, mais aussi à la violence du monde.


Là où L'enfance d'Ivan constituait les bases du cinéma de Tarkovski du point de vue des réflexions. Andrei Roublev les densifie, les peaufine et les élève. En effet, Tarkovski parle de l'église dans son intégralité, sujet initié dès le début du film, avec la scène où un homme vole avec un ballon à air chaud, symbolisant peut-être l'envolée de l'église vers les cieux pour s'écraser, car l'église ne répond pas aux attentes de ses fidèles.


Les prêtres dans ce film enchaînent les pêchés capitaux : l'orgueil, l'envie et la colère en particulier Kiriil, seul se détache Andrei, qui bien qu'ayant énormément de talent et la reconnaissance de ses pairs, est humble et ne cherche aucunement la célébrité préférant rester dans l'ombre.


Il lui arrivera également, de tomber sur une secte qui s'adonne au plaisir sexuel recherché pour lui-même (la luxure), mais là où tout homme d'église se serait attelé à les brûler, Andrei n'en fera rien, en effet, il montrera son ouverture spirituel sur les autres rites en préférant se montrer bienveillant.


Après un certain événement de l'intrigue :



  • Il ne respectera plus les traditions religieuses.

  • Il refusera de peindre le jugement dernier pour ne pas choquer.

  • Et il tuera en cas de nécessité, tout cela participe à placer Andrei Roublev à l'opposé du politiquement correct chrétien, en ayant la sympathie du public, grâce ses réflexions sur sa foi, qui ne sera pas s'en rappeler Tarkovski.


Le culot de ce film, réside dans le fait qu'Andrei Roublev soit un film sur un peintre où ne voit pas le peintre peindre ! On le voit en plein questionnement sur les représentations et ses angoisses. Un conflit se pose donc entre la représentation illusionniste du monde (représenter le monde sensible), et le fait de représenter le monde comme sa foi lui demande de le représenter avec son universalité, où tout est amour et humanisme (le monde des idées).


Andrei Roublev se pose les questions suivantes : Qu'est que je fais en art ? De quoi mon art doit-il parler ? Qu'est-ce que l'art peut provoquer aux autres ? Pourquoi faire un art ?


Jean Douchet, critique et historien de l'art, prend comme axe de réponse l'une de ses questions (pourquoi faire de l'art ?), comme un moyen de s'élever, symboliser par la cloche du début du film et de celle en fin de film qui élève par le travail, car la cloche est signe d'élévation spirituelle et pas d'élévation physique comme l'homme au ballon qui s'écrase dans l'eau. Le cheval qui suivra représente les forces de la nature.


Le film se construit sur le désir de légèreté et d'élévation au début pour que la fin montre l'acceptation de la matière en tant qu'expression des forces de l'univers (s'opposant à la maxime communiste) montrant par la construction de la cloche, le rapport entre l'humidité et la terre russe.


La pensée orthodoxe qui porte le film et qui s'illustre lors des tableaux de fin, a pour but de montrer l'âme russe, qui est la terre russe !


Il se servira de cela avec les scènes de batailles pour critiquer le communisme sans que la censure matérialiste et communiste ne comprennent que le film leur dit que les Tatares et le prince qui trahit sa patrie pour tuer le peuple, sont les dirigeants communistes qui avaient envoyé par paquets de mille, des gens mourir à Stalingrad, expliquant le nombre faramineux de mort du côté russe !


Le film est au final, profondément à propos des questionnements d'un artiste plus que sur une démarche biographique.


Tarkovski disait lui-même ceci sur Andrei Roublev : " Un artiste ne travaille jamais sous des conditions idéales, sans cela l'artiste ne pourrait pas travailler.


Les artistes existent, car le monde n'est pas parfait, l'art serait inutile si le monde l'était, les hommes ne chercheraient pas l'harmonie, ils vivraient tout simplement avec.


L'art naît d'un monde mal conçu, et c'est le problème dans " Rublev ", la recherche pour des relations harmonieuses parmi les hommes, entre l'art et la vie, entre le temps et l'histoire.


Voilà de quoi parle le film, l'autre thème important, est l'expérience de l'homme. Mon message dans ce film, est que c'est impossible de transmettre nos expériences à quelqu'un.


Nous devons vivre nos propres expériences, nous ne pouvons pas les hériter, les gens disent souvent : " Utilise les expériences de ton père ! "


Trop facile, chacun de nous doit avoir les siennes !


Mais une fois que nous les avons, nous n'avons plus le temps de les utiliser et la nouvelle génération refuse de les écouter, ils veulent vivre, mais ensuite, ils vont également mourir, c'est la loi de la vie, sa vraie signification est que nous ne pouvons imposer nos expériences aux autres ou les forcer à ressentir les émotions suggérées. Il n'y a qu'au travers des expériences personnelles que l'on comprend la vie.


Andrei Rublev, a vécu une vie complexe : il a étudié avec le maître Radonevsky à la sainte trinité, il a eu la possibilité de voir le monde au travers des yeux de son maître, c'est uniquement à la fin de sa vie, qu'il a pris son propre chemin. "


Ce texte est issu de l'interview : Andrei Tarkovski : a poet of the cinema de 1983, une des rares interviews du cinéaste.


Par contre, il n'y a pas vraiment de BO, il n'y a qu'à un moment où des gens jouent d'instruments d'époque, mais il y a un gros travail sonore pour renforcer l'immersion du spectateur.


Les acteurs sont un autre gros point fort de ce film, Anatoli Solnitsyne (l'acteur préféré de Tarkovski) est d'une spontanéité désarmante qui captive le regard accompagné par Nikolai Grinko (Danil) et Ivan Lapikov (Kirill) aux caractères opposés, mais d'une grande justesse.


Mention spéciale à Nikolai Bourliaiev qui après Ivan, joue un jeune homme avec le poids de la construction d'une cloche sur les épaules avec toujours autant de justesse.


En ce qui concerne la réalisation, encore une fois, le découpage laisse de la place pour le mysticisme et la spiritualité que recherche Tarkovski, les plans sont longs et envoûtant avec de nombreux symbolismes, les visages des personnages sont quasiment tous tirés. Les gens sont esquintés par leurs conditions de vie précaire juste qu'à s'adonner pour certains aux différents pêchés capitaux pour trouver du réconfort ... et même là, la réalisation ne les diabolise pas, non, elle montre un visage compréhensif, comme Roublev en montre un envers son prochain, sachant qu'au final, il ne vaut pas mieux qu'eux.


On peut observer une plongée avec un regard perpendiculaire, rappelant celui du Christ Pantocrator, qui regarde du haut des églises ses fidèles et les jugent durant la scène où la cloche est sur le point d'être fondue, marquant encore plus l'aura religieuse de cette scène sans en faire trop.


Pour conclure, j'aimerais finir sur la discussion qu'ont Kiriil et Théophane :


" Dis donc, tu as de la tête à ce que je vois.
Est-ce un bien ?
Ne vaudrait-il mieux ne pas en avoir et t'en remettre à ce que te suggère ton cœur ?
À trop de sagesse, beaucoup de tristesse.
Celui qui multiplie le savoir, multiplie le deuil. "

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le 2 juil. 2019

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Albator_Larson

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