Jen et Sylvia Soska, les “twisted tweens”, comme elles aiment à s’appeler, ont réalisé "American Mary" sous le patronage d’Eli Roth – elles lui ont d’ailleurs dédié le film. Mais, au regard du résultat, force est de reconnaître que les élèves ont dépassé le maître. Mélange de torture porn, de rape and revenge, de violence graphique et d’humour à froid, sans oublier une véritable réflexion sur le corps, leur premier long métrage est tout bonnement l’un des meilleurs films de genre de ces dernières années. Mary peut être vue comme une lointaine descendante du Docteur Frankenstein, qui assumerait progressivement son héritage de savant fou (de savante folle ?).

La première scène la montre dans sa cuisine, vêtue de lingerie, occupée à faire ses premières armes de chirurgienne sur une carcasse de dinde. Les entailles dans la peau de la volaille et les suturations, filmées en gros plan, font froid dans le dos, mais ce n’est rien comparé à ce qui attend le spectateur ensuite. Par la force des choses, l’héroïne va être contactée par une femme fantasque (euphémisme), qui lui propose d’opérer l’une de ses amies, aux attentes singulières, dans une clinique de vétérinaire… Le ton est donné. Le film pénètre alors dans un univers étrange. Mary franchit presque sans réfléchir cette ligne jaune, qui la place dans l’illégalité puisqu’elle accepte d’opérer clandestinement et sans aucun diplôme.

Les soeurs Soska auraient très bien pu se contenter de suivre cette héroïne divaguer dans ce monde de freaks pratiquant les modifications corporelles volontaires (tongue-splitting, pose d’implants sous-cutanés, apotemnophilie, etc. ÂMES SENSIBLES, NE GOOGLEZ PAS CES TERMES), et d’offrir au spectateur sa dose de sensations fortes à peu de frais. Mais elles ont au contraire eu à coeur de traiter cette communauté avec respect ; elles ont même fait appel à des consultants pour s’assurer que le scénario ne contenait rien d’insultant pour les adeptes de ces pratiques. D’ailleurs, lorsque Mary reviendra de l’autre côté de la ligne, retrouvant sa formation à l’hôpital et ses professeurs, elle ne va pas tarder à constater que l’abjection et la monstruosité se trouve davantage dans cette sphère de médecins “respectables” que du côté de ceux que la majorité a tendance à taxer bien trop facilement de “tarés”.


Quand la jeune femme abandonne ses études et choisit définitivement la voie underground, le film se mue en une sorte de cauchemar, Mary trouvant dans le maniement du scalpel son principal mode d’expression – le hic étant que tous ceux qui passent sur le billard ne sont pas forcément consentants – risquant même de manquer de discernement (en sortant son matériel à la moindre contrariété).
Le thème du corps transformé et/ou martyrisé, marotte que Jen et Sylvia Soska partagent avec leur compatriote David Cronenberg, est plutôt bien maîtrisé et traité (les co-réalisatrices ont casté de réels adeptes de modifications corporelles, qui apparaissent rapidement à l’image). Avant de tourner le film, elles le présentaient comme “la rencontre entre "American Psycho" et "La Piel que habito" de Pedro Almodovar”, ont elle confié à L’Ecran Fantastique (n°338). Et au vu du résultat, c’est assez juste. On retrouve la subversion et la causticité du premier, et la réflexion sur l’intégrité du corps développée par le second. Mais en même temps, "American Mary" ne ressemble avant tout à rien d’autre qu’à lui-même.
Giallover
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 4 mars 2013

Critique lue 1.5K fois

17 j'aime

4 commentaires

Giallover

Écrit par

Critique lue 1.5K fois

17
4

D'autres avis sur American Mary

American Mary
Giallover
9

Bloody Mary

Jen et Sylvia Soska, les “twisted tweens”, comme elles aiment à s’appeler, ont réalisé "American Mary" sous le patronage d’Eli Roth – elles lui ont d’ailleurs dédié le film. Mais, au regard du...

le 4 mars 2013

17 j'aime

4

American Mary
EvyNadler
8

Nolwenn Leroy, Katy Perry & Mary sont sur un bateau ?

Tarantino a eu trois filles qui se ressemblent énormément : Nolwenn Leroy, Katy Perry & Mary. La petite dernière, Gogo Yubari mais un poil plus occidentale et somptueuse, se prête au jeu d'un La Piel...

le 19 juin 2014

10 j'aime

3

American Mary
Ninesisters
8

Lady Black Jack

Il y a quelques années, je travaillais dans un hôpital. Je vous jure que cela a un rapport avec ce qui va suivre. Nous disions donc : je travaillais dans un hôpital. Je ne sais pas pour les autres...

le 24 févr. 2015

6 j'aime

1

Du même critique

Queen of Montreuil
Giallover
6

La fantaisie reine

Il y a des films comme ça qui arrivent sans faire de bruit et qui se révèlent aussi fragiles que précieux. "Queen of Montreuil" est de ceux-là. Il a failli ne pas voir le jour : les refus de...

le 19 mars 2013

9 j'aime

La Maison au bout de la rue
Giallover
6

Et ta soeur ?!?

On pressent le réalisateur, Mark Tonderai, très influencé par le cinéma de Dario Argento. L’une des scènes à l’air de faire clairement référence au fameux plan à la Luma de "Ténèbres", glissant le...

le 26 nov. 2012

7 j'aime

Action ou vérité
Giallover
6

Critique de Action ou vérité par Giallover

C’est bien connu : jouer à “Action ou vérité ?” est l’un des plus sûrs moyen pour bousiller une soirée. Toutes les vérités n’étant pas bonnes à entendre et certaines actions n’étant ni faites ni à...

le 7 oct. 2012

7 j'aime