Un road movie à la destination incertaine, portrait touchant d'une jeunesse américaine en marge.

Il aura fallu attendre longtemps, depuis Cannes 2016, avant de pouvoir enfin (re)découvrir le nouveau film d’Andrea Arnold, réalisatrice talentueuse qui nous avait déjà offert (entre autres) le magnifique « Fish Tank » en 2009 (voir critique ici). Avec un style devenu désormais sa marque de fabrique et son format proche du 4:3, Andrea Arnold nous replonge dans la thématique du portrait social avec des comédiens pour la plupart non-professionnels et nous livre un film touchant de près de 2 heures 43.


« American Honey », c’est l’histoire de Star, adolescente de 18 ans issue d’une famille pauvre et abusive, qui quitte son foyer pour rejoindre une bande de jeunes qui parcourent l’Amérique en vendant des abonnements de magazines au porte-à-porte et en enchaînant fêtes sur fêtes hors-travail. Petit-à-petit, elle se rapproche de Jake, celui qui l’a invitée à adopter ce nouveau mode-de-vie. L’aventure prend la forme d’un road trip aux multiples destinations.


À travers toutes les péripéties du film, Andrea Arnold nous dresse le portrait d’une jeunesse américaine dépravée, en quête de liberté, d’identité, mais aussi d’amour. Une jeunesse à la fois ardente, soudée et marginale, mais pouvant tout aussi être en conflit avec elle-même, seule et confrontée aux difficultés de la vraie vie. Après tout, ces jeunes tant enthousiastes à l’idée de se faire de l’argent recommencent chaque jour au même point de départ pour vendre et revendre leurs magazines ! Leur adage, « make money », fait pâle figure face aux pauvres résultats qu’ils obtiennent, et pourtant ils continuent et semblent heureux.


Dès lors, la première question que le spectateur peut se poser face à ces événements est tout simplement : où cela va-t-il les mener, quel but a ce train de vie et jusqu’où iront-ils ? Bien qu’abordant à juste titre la notion de « rêve » (« quel est ton rêve dans la vie ? »), le film apporte au final très peu de réponses à cette question, laissant la réflexion ouverte et le choix aux spectateurs, rendant l’avenir de ces jeunes plein d’incertitudes.


Vu sous un certain angle, « American Honey » est même un film frustrant. Ses personnages sont interchangeables (ils ne sont pas spécialement uniques), leurs actions ne semblent les mener nulle part, et au terme de ces longues 2h43 nous sortons avec un sentiment d’incomplétude et d’impasse, car la protagoniste ne semble pas avoir évolué ni changé de manière significative. Elle a vécu des moments difficiles, elle a découvert des choses sur elle-même, a évolué dans sa relation avec les autres, mais où cela l’a-t-elle menée dans son parcours personnel? La réflexion se pose car, contrèrement à « Fish Tank » où l’évolution de la protagoniste était très visible et le récit très structuré avec un 3e acte remarquable et une fin pleine de sens, « American Honey » est un film qui se refuse à une narration conventionnelle et abandonne ses objectifs en cours de route.


Plutôt que d’offrir un parcours précis à sa protagoniste en suivant une ligne dramaturgique claire, Andrea Arnold l’égare en nous proposant au contraire différente pistes de narration. Il pourrait y avoir plusieurs films dans « American Honey » : il y a le parcours d’une jeune maltraitée qui décide de repartir à zéro, l’histoire d’une adolescente amoureuse qui suit un amant distant, le récit de jeunes vivant en marge de la société et le portrait d’une Amérique égarée. Toute une série de sujets qui s’ouvrent mais ne sont jamais exploités jusqu’à leur aboutissement.


Car « American Honey », à l’image d’un film documentaire, est avant tout un portrait, pas un récit. Le portrait d’une jeune fragile, en proie à des questionnements, à des envies de changement, à l’amour… le genre de quidam que l’on pourrait croiser dans la rue sans s’y intéresser (peut-être même en s’y désintéressant) et sans se douter que son vécu regorge d'autant de valeur (bien qu'encore une fois, cela est vrai pour n’importe qui). Pendant toute la durée du film, Arnold ne prend d'ailleurs pas le temps de développer les autres jeunes qui sont pourtant présents quotidiennement dans la vie de Star. Non, car ce qui est important ici, c’est Star ; ce qu’elle fait, ce qu’elle dit, ce qu’elle aime, ce qui la tourmente…


Arnold est passée maître dans l’art de « voler » des moments de vie à ses comédien(ne)s. On pourrait dire qu’on retrouve dans sa mise-en-scène un peu de Céline Sciamma, de Xavier Dolan, des frères Dardenne ou encore de Ken Loach, bien qu’elle ait réussi à imposer son propre style avec sa filmographie. Dans un souci de réalisme, la caméra d’Arnold accompagne et suit la protagoniste dans tous ses faits et gestes, capturant avec sensibilité tant sa sensualité que ses imperfections, afin de retranscrire le personnage dans la totalité de sa complexité et, de fait, dans l’étendue de sa splendeur. Dans l’ensemble du film, nous ne pouvons qu’être fascinés par les personnages de Star et de Jake. La non-professionnelle Sasha Lane brille par sa présence, de même que l’on retrouve un mémorable Shia LaBeouf. Petite mention également pour le beau travail de Riley Keough, absolument irritante dans son rôle de patronne exigeante, Krystal.


D’aucuns pourraient néanmoins critiquer les tendances qu’a le film à exploiter certains clichés dans ce portrait de l’adolescence et du passage aux 18 ans (le côté hippie, les apsects party-drogue-feu d’artifice sous fond de musique tendance-gangsta). Nous pouvons d’ailleurs le confronter avec « Heaven Knows What », un film de 2015 dressant un portrait vrai et anti-narratif d’une vagabonde toxicomane qui semble faire impasse dans le mode de vie qu’elle mène. Ce film-là, avec ses personnages révoltants, le côté 100% brut et sans artifice de ses images, serait une sorte d’antithèse à « American Honey » où le récit se voit au contraire sublimé par des images et des musiques souvent colorées, lui donnant trop souvent un aspect « feel-good ». Mais n’est-ce pas justement là l’authenticité même de cette jeunesse/adolescence désireuse de liberté ? Un passage de la vie où l’on découvre et expérimente de nouvelles choses, où l’on puise dans les clichés avant d’apprendre à devenir soi-même et où l’on apprend petit-à-petit à trouver sa place dans un monde au sein duquel on doit apprendre à s’adapter et à gagner sa vie ?


À travers son portrait de Star, Arnold nous démontre que derrière ces paillettes, il y a toutefois une personne authentique, fragile, humaine qui se cache et se construit petit à petit. Et même si cette jeunesse s’avère inconsciente, maladroite, imparfaite et épicurienne, c’est peut-être justement ces éléments qui rendent ce passage de la vie si coloré et riche en émotions!


Mais la même question demeure, encore et toujours : qu'en est-il du "après"?

Ciné-Look
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le 15 janv. 2017

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