À Cannes, un ami blogueur m’a rappelé à quel point passer l’Atlantique pour les cinéastes indépendants européens était un pari risqué. Comment peut-on lui donner tort ? Vinterberg, Trier, August, autant de noms pour qui leur passage sur le sol américain s’est soldé par un échec, chose que l’on pouvait craindre pour Andrea Arnold. Sauf que, contrairement à eux qui ont cherché à reprendre les codes des films américains quitte à trahir leur style, la réalisatrice reste fidèle à ses thématiques.


Dès la première image, on découvre Star, une jeune femme oppressée par sa famille dysfonctionnelle, qui rencontre dans un supermarché une bande de jeunes parcourant les routes du Midwest afin de vendre des abonnements de journaux. Elle tombe rapidement sous le charme du sous-chef incarné par un Shia LaBeouf à la queue-de-rat chatoyante et décide de suivre l’équipe.


Comme « Fish Tank » (mini claque que je conseille fortement), American Honey parle de jeunesse rebelle, de premiers émois mais surtout de fuite. À la différence près que si dans le premier l’héroïne fantasme sa fugue par l’art, dans le second elle la réalise par la route. Ici, le voyage devient le théâtre d’un microcosme portant sur une certaine jeunesse symbole d’une sous-culture nomade adepte de musique, sexe, plaisirs artificiels, rencontres et liberté. Il contraste avec la faune locale composée d’ouvriers, de cowboys et de banlieusards ayant fui les lumières de la ville.


Facile d’y voir une résurgence d’une certaine époque pas si lointaine. Personnellement, j’ai pensé à l’Amérique hippie d’ « Easy rider », aperçu les puits de pétrole de « Cinq pièces faciles » et me suis projeté dans les voyages de Kerouac. Aucun vrai développement politique là-dedans, ni une démonstration outrancière pour prouver que l’histoire se répète, Arnold veut planter le décor et dépeindre une conception de rêve américain pas très glorieux, assez crasseux mais réaliste. Ce ne sont ni la belle mise en scène (proche du style d’un documentaire), ni sa photographie avec sa lumière naturelle, ni le casting composé à 70% d’amateurs et le scénario qui sent fortement le vécu qui vont nous convaincre du contraire.


Le format 1:33 (ou écran carré pour les intimes) donne même l’impression d’assister à une succession de bribes de souvenirs immortalisés sur une pellicule super 8. J’ai eu la sensation de vivre le voyage avec Star, de croiser le séducteur à la queue-de-rat, de voir le groupe d’itinérants aimer, danser et chanter sur de la (très bonne) musique hip-hop ou Country, le tout sous le regard de la chef, Krystal, beauté au comportement de mère maquerelle.


L’ensemble véhicule une énergie incroyable. La direction d’acteurs d’Arnold y est pour beaucoup, elle tire le meilleur de chacun de ses interprètes. Pour preuve, Shia LaBeouf trouve ici le meilleur rôle de sa carrière (il était même l’un de mes favoris pour le prix d’interprétation à Cannes), Riley Keough confirme après la série « Girlfriend expérience » qu’elle est une des jeunes premières américaines à suivre et la révélation Sasha Lane est tout simplement éblouissante.


Reste que le scénario n’est pas à la hauteur de la durée disproportionnée du film. Outre la dizaine de plans contemplatifs inutiles, j’en suis sorti avec un petit sentiment de frustration dû à ces quarante-cinq dernières minutes qui semblent faire du remplissage façon documentaire MTV avant de conclure abruptement. Pourtant, j’ai bien aimé ce film et je rejoindrai l’avis d’un l’homme au smoking blanc avec un sac en papier sous le bras : just see It !


Willard


Critique issue de : http://cinematogrill.fr/american-honey/

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le 12 févr. 2017

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