Fut un temps, pas si éloigné, où l’on attendait encore fébrilement les blockbusters de l’été, ces prototypes de films produits de façon certes industrielle, mais ne dévoyant généralement pas leur but premier, à savoir procurer aux spectateurs leur dose d’émotions fortes, pour passer deux heures ou plus, à se goinfrer de pop corn (ce qui n’est pas une obligation non plus entendons-nous bien) et se divertir en sachant d’avance que le contrat serait rempli. C’était l’époque des productions Bruckheimer, avec leurs poulains plus ou moins talentueux, mais peu importait au final, le résultat était généralement efficace et pouvait parfois tutoyer certaines hauteurs par un ton plus décomplexé encore que la moyenne. Ces films étaient portés par des acteurs connus, venant cachetonner mais qui n’en prenaient pas moins leur boulot au sérieux en cabotinant généralement pour notre plus grand plaisir. C’était aussi l’époque où l’on allait voir le nouveau film de, à savoir un nom qui parlait immédiatement en étant un gage de qualité par rapport à ses films précédents.


Michael Bay a surgi durant cette glorieuse époque, et quoi que l’on pense de son cinéma, force est de constater qu’il a su rapidement imprimer un style reconnaissable entre mille qui a fait en quelques films office de raison se suffisant à elle-même pour aller voir chacun de ses nouveaux longs métrages les yeux fermés. Mais avant de revenir sur ce fameux style et de constater en quoi ce nouveau long-métrage constitue une forme d’aubaine inespérée par les temps qui courent, précisons donc les raisons (évidentes) de cette petite piqure de rappel. Ce temps, pas si éloigné donc, mais paraissant appartenir à une autre galaxie, tant les mentalités et les habitudes des spectateurs ont évolué (régressé si l’on veut faire preuve de mauvais esprit), resurgit aujourd’hui telle une madeleine de Proust, avec le lot de commentaires nostalgiques louant tel ou tel film moqué à l’époque, comme le parangon d’un style fun et décomplexé, qui nous manque sacrément en ces temps de super héros aseptisés bouffant 99% de la production du genre moderne. Et donc forcément, dans tout ce bazar, voir débarquer un nouveau film de Michael Bay, alias Monsieur destruction massive, qui plus est au cinéma, a quelque chose de sacrément excitant, là où il y a une vingtaine d’années, il aurait sans doute été accueilli comme un énième film d’action tout ce qu’il y a de plus classique. Mais voilà, rappelons que son avant dernier film avait débarqué directement sur Netflix, sort désormais habituel pour ce qui peut presque être qualifié de proposition « expérimentale » à l’heure où les seuls films quasiment garantis de succès salles sont ceux mettant en scène des abrutis costumés détruisant la moitié de la planète et passant pour des héros. Bref, tout ça c’est bien joli, mais il serait maintenant temps de passer au film qui nous intéresse aujourd’hui, tentant crânement de se frayer un chemin dans nos belles salles, l’arrogant.


Dès les premières minutes, nous retrouvons ce plaisir perdu d’un style certes clinquant et publicitaire, mais reconnaissable quasi immédiatement, et surtout, à une caractérisation solide portée par des comédiens impliqués. S’il y a bien une chose que l’on attend pas nécessairement en allant voir un film de Bay, c’est bien à des enjeux humains qui se tiennent, voir, encore plus incongru, qui puissent nous toucher. Et pourtant, contre toute attente, et derrière l’artillerie lourde déployée par celui-ci, il est indéniable qu’un effort a été fourni pour rendre les personnages réellement attachants, agissant non pas par pur appât du gain ou plaisir de la violence, mais tout simplement parce qu’ils évoluent dans une société les mettant littéralement dos au mur, niant leur droits les plus fondamentaux, une société ayant oublié qu’être soigné ou opéré n’était pas censé être réservé à une élite mais devait concerner tous les êtres humains. Une défiance envers les instances étatiques ayant toujours fait partie du cinéma de Bay, du moins depuis ses débuts (il n’y a qu’à revoir Rock et le personnage de militaire campé par Ed Harris pour s’en convaincre), mais poussée ici à un niveau encore supérieur, les enjeux découlant directement de ce manque de considération et de cette impression d’écrasement oppressant les personnages, impression symbolisée par ces plans de drones acrobatiques, pouvant paraitre gratuits sur le moment, mais faisant clairement office de personnage invisible s’abattant sur les protagonistes.


Nous suivons donc Will Sharp, vétéran de la guerre en Afghanistan, s’étant donc battu pour son pays pour avoir comme il le dit la sensation d’aller quelque part dans la vie, incapable de payer les frais médicaux nécessaires à sa femme, ne touchant pas les indemnisations lui allant pourtant de droit. Asphyxié par l’urgence de la situation et cette sensation d’inéluctabilité, il se résout à faire appel à son frère Danny, criminel endurci ayant de qui tenir de par les antécédents de son père (Will ayant été adopté), qui à la place d’une aide immédiate, lui propose un gros coup, le braquage d’une banque avec à la clé un énorme pactole qui en ferait le braquage du siècle. Comme de bien entendu, le braquage tourne mal et notre binôme se retrouve obligé de s’embarquer dans une virée garantie sans retour dans une ambulance avec à l’intérieur une infirmière et un flic blessé par balle qu’ils prennent en otage. La cavale débute, et avec le père Bay aux manettes, on peut être sûr que la tension sera garantie jusqu’au bout sans le moindre temps mort, durant les 2h10 et quelques de métrage.


Un pitch sec et efficace, reprenant le postulat d’un film danois dont il est un remake libre, tout le développement ayant à priori été considérablement modifié. Forcément, avec un styliste de l’action aussi fou que Bay, on s’imaginait bien que le pitch de série B concise serait remodelé à sa propre sauce, avec toute la frénésie que cela induit, mais avec cette fois-ci ce petit supplément d’âme pouvant certes paraitre léger aux yeux des spectateurs les plus incrédules, mais méritant néanmoins d’être souligné, tant les efforts sont visibles et même vecteurs d’une émotion paraissant sincère. Alors inutile d’aller plus loin, on est pas non plus chez Bergman, et le but de la manœuvre reste malgré tout le plaisir du spectateur, pur et absolu, et à ce niveau, il n’y a pas à lézarder, Bay est toujours le meilleur dans sa partie, toujours là pour nous balancer le plan qui tue, et mener le tout à un rythme de folie, ne nous laissant jamais le temps de respirer, quitte à parfois trop en faire en faisant preuve d’un excès de générosité. Cette façon de ne jamais décélérer, de toujours nous mettre la tête dans un étau, entre un découpage très cut (néanmoins plus lisible que sur 6 Underground), un sound design agressif et ces plans de dingue déboulant de nulle part, ne cessera jamais de fasciner ses fans et de décourager ses adversaires. Et pourtant, sans doute parce que ce type de cinéma a quasiment disparu et que de par sa carrière il est l’un des rares actuellement à encore pouvoir réunir des budgets pour ça, cette nouvelle proposition est semble-t-il accueillie par la presse avec beaucoup plus d’égards que d’ordinaire.


Pourtant, au-delà du fond plus conscient que ce qu’on pouvait en attendre, et de cette légère mélancolie perceptible notamment sur le dernier plan du film, on peut toujours faire confiance au réalisateur de Bad boys 2 pour nous balancer ces fameux moments dont il a le secret, sublimes instants de lâcher prise où tout peut arriver. Mais cette fois-ci avec plus de parcimonie et de respect de la vie humaine, signe peut-être d’un léger assagissement sans doute dû à l’âge. Vous ne verrez donc pas de figurants lambda se faire écraser sur la route comme dans GTA, de jeté de cadavres pour parer aux poursuivants ou de rats cadrés plein écran en position du missionnaire. Dommage, diront les plus déviants des fans, ouf lâcheront les autres.


Concentrons nous donc sur tous les plaisir offerts par le film, plaisir de voir des acteurs ayant toute latitude pour jouer à l’écran, quitte à en faire trop (Jake Gyllenhaal dans un grand numéro halluciné), plaisir de constater qu’enfin Bay arrête de filmer les femmes de manière purement érotisée, offrant à la belle Eiza González un vrai rôle au cœur de l’action, sans discours woke pesant, la mettant tout simplement au même niveau que le reste du casting, et enfin plaisir du divertissement pur, multipliant les climax comme de coutume, quitte à nous fatiguer, et coller un petit mal de crâne aux plus sensibles. Tapageur mais point trop complaisant, violent, voir gore lors d’une séquence mémorable, mais pas totalement irresponsable, et questionnant encore une fois ce fameux rêve américain qui n’est qu’un concept plus qu’une réalité, avec moins de cynisme et plus de cœur que dans son jouissif No pain no gain, on a tout simplement le prototype parfait du cinéma selon Bay, à savoir un gros manège filmé façon guerilla, toujours au cœur de l’action, et ici des êtres, avec juste un certain excès de sentimentalisme sur les dernières minutes (on ne se refait pas), mais en évitant le patriotisme dénoncé par quelques journalistes paresseux dont on se demande s’ils ont vraiment vu le film. Ce qui fait peut-être du cinéaste le dernier artisan de blockbusters énervés à faire preuve d’un minimum de lucidité politique avec Peter Berg, lui aussi considéré à tort par certains comme un simple propagandiste. Alors allez soutenir le film en salles, car ce type de cinéma est de plus en plus fragile, et risque de ne pas survivre au règne des super glands costumés annihilateurs de planètes. A bons entendeurs.

micktaylor78

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