C’est l’histoire d’un homme seul au milieu de l’océan indien, sur son voilier, combattant la malchance dans un premier temps (il heurte un container perdu, tombé d’un cargo) et la force des éléments ensuite. Le film s’ouvre sur un message en off un peu pompeux, les mots du désespoir, situation que l’on s’attend à recroiser pendant le film puisque cette intro se situe huit jours après l’incident. On le retrouvera vers la fin, inévitablement, mais cet instant finit par justifier l’intro fâcheuse puisqu’il s’acclimate au reste du film : le personnage écrit, comme un moment il mange ou tient la barre. J’ai l’impression que Chandor voulait passer par ce message et ce bocal jeté à la mer mais qu’il voulait aussi qu’on l’entende, ne pas le garder pour lui, du coup, c’est un peu la seule possibilité qu’il a trouvé, nous le faire partager d’emblée afin de laisser la suite du film quasi mutique (si l’on excepte une tentative d’appel de détresse, un Oh god, un Help et un nom d’oiseau).

A la différence du précédent film de Chandor, Margin call, où tout était fondé sur le dialogue, on a ici un film d’action pur puisque le cinéaste s’attache aux gestes, aux mouvements, les plus banals, autant que les plus improvisés, la survie de son personnage, le voir échafauder des plans, inventer des solutions – le cinéaste prend par exemple le soin d’étirer les séquences où le personnage expérimente le sextant et la carte de navigation. Montrer un homme face à un déchainement qu’il ne maitrise plus, à la manière d’un Open Water en solo, ou plus récemment et dans l’espace, à la manière d’un Gravity. C’est d’ailleurs étonnant de voir les deux à un mois d’intervalle tant ils se rejoignent sur l’absence de romanesque, de psychologie, déroulant leur programme de survie minimaliste, de peur dans l’immensité, en surprenant autrement, chacun à leur manière, l’un via le vertige, l’autre le silence.

Il y a plusieurs regrets. Tout d’abord le manque d’attention à cette immensité. Il est tout de même dommage de sentir cent fois plus cette masse océanique dans des films plus romanesques comme Calme blanc ou Seul au monde. All is lost n’a pas non plus l’inventivité de mise en scène ni la puissance d’abstraction d’un Gerry, auquel on pense aussi. En fait, on peut même aller jusqu’à dire que ce n’est pas plus un film de mise en scène qu’un film de scénario, mais une glorification de l’acteur, qui, en lui rendant sa transparence de jeu, s’en va saisir ses tics et grimaces, l’inquiétude et l’épuisement uniquement au-travers de ses gestes. Chandor doit être de ceux qui achètent systématiquement dans les fêtes foraines, les photos prises lors des attractions fortes, toujours au moment propice à la meilleure grimace, pour le souvenir d’un visage naturellement déformé. Ce qui l’intéresse ici c’est Redford en somme, rien d’autre. Mais un autre problème se pose alors : Pourquoi dévier de ce parti pris de tout resserrer sur l’action du personnage en élargissant d’une part parfois le cadre (les vues sous-marines inutiles) et d’autre part en ne choisissant pas de faire durer les séquences de gestes liées à sa survie ? Chandor n’a pas confiance en cette épure, c’est un fait et pire il veut trop en mettre, préférant la multiplicité des solutions à la durée de leur opération.

Au-delà de ces quelques remarques je trouve le film vraiment réussi en tant que survival maritime, parce qu’il va à l’essentiel, ne s’extraie jamais de son cadre marin et qu’il est très vite angoissant tout en prenant le risque de se priver de climax qui font le sel du genre. Chandor préfère l’agonie lente, tout juste augmente-t-il quelque peu la tension lors de l’imminence d’une tempête. Mais globalement c’est un film qui prend beaucoup de risques, c’est plutôt agréable. Le simple fait de nous priver de parole, de voix-off et de flashback relève déjà, outre-Atlantique, du gros tour de force.

Pour revenir sur la question de la mise en scène, car je ne voudrais pas qu’il y ait de malentendu, tout est fait avec sobriété, même la musique ne semble pas jouer de rôle prépondérant, hormis dans le dernier quart d’heure, je crois. Mais curieusement, c’est justement cette sobriété que je condamnerais presque car si cette épure (limitée) fait un bien fou, elle nous enlève aussi l’éventuel grain de folie, une fulgurance physique et poétique, qui nous intègrerait vraiment au voyage, nous prendrait aux tripes, nous surprendrait, à l’image de la scène du rocher dans Gerry ou de la marche quasi lunaire façon zombies. Je cherche ce genre de séquences qui feraient grimper le film mais je ne les trouve pas. All is lost fait donc très bien les choses mais n’a pas de grandes idées pour se dépareiller et s’illustrer en tant que jalon, comme Gravity avait réussi à le faire. Mais bon, c’est déjà excellent. Surtout que je ne m’y attendais pas le moins du monde.
JanosValuska
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le 4 févr. 2014

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