Au début des années 2000, la franchise Alien n'est pas des mieux portantes. Le dernier film en date, Alien La Résurrection, s'il a tout de même renfloué les caisses de la Fox, n'a que partiellement convaincu la critique et les fans. Le studio n'est donc pas particulièrement rassuré quant à la rentabilité d'une franchise au succès aléatoire et ne sait plus trop que faire de cet univers. De son côté, James Cameron savoure le carton de son Titanic et, accaparé par les docu-fictions (Les fantômes du Titanic, Expédition Bismark) et ses scripts en attente (Alita Battle Angel, Avatar), ne sait plus trop lequel de ses projets privilégier. Un temps intéressé par une adaptation à l'écran de Spiderman avec Leonardo DiCaprio dans le rôle de Peter Parker, (son scénario restera inadapté), le cinéaste se penche finalement sur le cas de la franchise Alien dont il désapprouve l'évolution depuis le troisième opus. A l'époque de la sortie du film de Fincher, Cameron ne s'était d'ailleurs pas privé de critiquer ouvertement son jeune successeur et la direction qu'il avait donné à la saga en choisissant de sacrifier plusieurs personnages (Hicks, Newt) rescapés de son Aliens. Considérant Alien 3 et Alien Resurrection comme des négations de son film, Cameron décide alors de corriger le tir en envisageant de développer un cinquième opus de la franchise et en soumet l'idée aux grands pontes de la Fox. Ceux-ci lui disent être intéressés et Cameron se lance alors dans ce projet. Hors de question cependant pour lui d'aller plus loin que l'écriture et la production, le réalisateur de T2 ayant alors dans l'idée de déléguer cette fois la réalisation du film à un autre cinéaste de son envergure.


Et pourquoi ne pas proposer la direction du film à Ridley Scott ? Jimbo contacte alors celui qui vient de triompher au box-office avec Gladiator et Hannibal et ce dernier accueille le projet de Cameron avec enthousiasme, avouant au passage à son confrère qu'il avait déjà songé plusieurs fois à revenir à l'univers du xenomorphe. Le cinéaste anglais apprécie notamment le second opus de Cameron pour y avoir développé la mythologie du monstre tout en s'éloignant de ce que lui-même avait fait. Il n'apprécie pas en revanche les opus de Fincher et de Jeunet qu'il juge ratés. Une chose en particulier l'a toujours contrarié dans cette saga : pourquoi aucun des autres films ne s'est-il jamais penché sur le mystère du Space Jockey ? Ce dernier personnage, un gigantesque macchabée de l'espace fossilisé à son siège, reste de toute évidence étroitement lié aux origines du xenomorphe. Approfondir le mystère du space jockey impliquerait alors la découverte des origines du monstre le plus célèbre du cinéma. Cameron et Scott partent alors sur l'idée que le cinquième opus de la saga sera une suite à Resurrection et que son intrigue enverra le personnage de Ripley sur la planète d'origine des xenomorphes tout en faisant la lumière sur la civilisation dont est issu le space jockey. On retrouvait ici déjà en germes les quelques idées de Scott pour ses futurs Prometheus et Covenant, bien que le cinéaste ait finalement opté plus tard pour une préquelle à l'univers d'Alien. L'ambition de Scott couplée au génie créatif de Cameron aurait eu alors de quoi faire frémir d'impatience les plus grands fans de la saga mais les deux cinéastes planchèrent dans le plus grand secret sur le développement de ce cinquième opus. Les décisionnaires de la Fox, eux, étaient bien évidemment au courant de la collaboration des deux hommes mais connaissaient aussi leur réputation. Scott et Cameron étaient l'un et l'autre des visionnaires et leurs oeuvres étaient en général d'autant plus ambitieuses qu'elles engloutissaient aussi un budget considérable. Qui plus est, tous réussis soient-ils, leurs films n'étaient pas toujours synonymes de succès.


C'est alors qu'arriva le drame... Un autre cinéaste à la réputation bien moins glorieuse eut l'idée de génie de proposer à John Davis, un des décisionnaires de la Fox, une alternative plus rentable. A peine sorti du tournage de Resident Evil, Paul W.S. Anderson vit ainsi à cette époque le créneau parfait pour positionner son propre projet. Dans son esprit, la Fox prenait un gros risque à se lancer dans la production d'un cinquième Alien alors même que les recettes du film de Jeunet avaient à peine renfloué les caisses sur le sol américain. Son idée était tout au bénéfice de la Fox : pour un budget bien moindre que le futur film de Scott, Anderson proposait une adaptation des comics Aliens versus Predator. L'avantage était alors de faire d'une pierre deux coups en amortissant les risques financiers, la franchise Alien étant au point mort et celle de Predator laissée à l'abandon depuis le début des années 90. Mais il existait encore tout un public pour les deux franchises, en témoignaient toujours le succès des comics Aliens versus Predator ainsi que des différents jeux vidéos qui en avaient été adaptés. Qui plus est, le succès de Freddy vs Jason, sorti quelques mois plus tôt, avait prouvé que le cross-over cinématographique pouvait être rentable. Pour Anderson, qui se spécialisait alors dans l'adaptation de franchises vidéoludiques, l'idée avait tout pour séduire les financiers de la Fox, lesquels ne tardèrent pas à préférer ce projet à celui de Cameron et de Scott.


Ceux-ci furent d'ailleurs prévenus tardivement de l'existence d'un projet concurrent au leur. En apprenant que la Fox donnerait certainement son aval à l'idée d'Anderson, Cameron freina alors des quatre fers et se refusa à s'investir plus longtemps dans l'écriture d'un script qui ne verrait certainement jamais le jour. Il ne manqua pas pour autant de critiquer ouvertement la décision du grand studio en déclarant que le film d'Anderson condamnerait définitivement la franchise. Tout aussi dégoûté que lui, Ridley Scott tenta néanmoins de négocier avec tous les partis, sans succès, et il se lança alors dans la préparation d'un autre projet d'envergure, Kingdom of Heaven. Le projet Alien 5 fut alors définitivement annulé au profit d'un improbable cross-over Alien/Predator, dont Paul W.S. Anderson, occupé à terminer le script (ô combien grandiose) de Resident Evil Apocalypse, se chargerait bien évidemment de la réalisation.


A ce moment de l'histoire, les fans de la saga qui connaissaient un minimum la filmo du gonze avaient alors de quoi espérer... ou redouter. Paul W.S. Anderson était en effet responsable des navets Mortal Kombat et Soldier mais c'était aussi le type qui avait mis en boite le très efficace Event Horizon (seul film réellement réussi de sa filmo, à mon sens). Qui plus est, son Resident Evil avait beau charrier un sacré nombre de défauts et ne jamais faire peur (un comble quand on connait les jeux l'ayant inspiré), il réussissait néanmoins à proposer une mythologie assez proche de celui de l'univers d'Alien (Umbrella/Weyland-Yutani, tous pourris) et quelques scènes mémorables (dont celle très rigolote du couloir aux lasers). Reste que beaucoup de monde se doutait alors qu'Alien vs Predator avait plus de chance d'être un simple navet opportuniste qu'un nouveau chef d'oeuvre de la science-fiction horrifique. Et c'est avec beaucoup d'appréhension que les fans de Ripley attendirent les premières images de la version d'Anderson. Puis beaucoup firent la gueule en comprenant que cette adaptation ne se déroulerait pas dans le futur (comme l'intrigue des différents comics et des jeux vidéos) mais bel et bien à une époque contemporaine, et sur Terre.


Il était évidemment hors de question pour Anderson de faire un film de pure SF vu le budget que cela nécessiterait. L'intrigue des jeux et des comics avaient beau se situer dans le prolongement de l'univers futuriste d'Aliens (avec ses space marines, ses androïdes et ses mondes colonisés), le réalisateur préféra conjuguer son cross-over au présent et proposer du même coup une préquelle à l'univers imaginé par O'Bannon tout en faisant suite aux deux premiers Predator. C'est aussi ça qui convainquit le studio de privilégier le projet d'Anderson : faire un film se déroulant de nos jours (on économise ainsi sur les designs trop coûteux, les costumes et les décors) dans une seule et même unité de lieu, de manière à limiter les dépenses. L'intrigue d'Alien vs Predator se déroule donc en 2004. Un satellite appartenant à Weyland Industries y décèle la présence d'un gigantesque flux d'énergie sur l'ïle Bovey au large de l'Antarctique. Le milliardaire Charles Bishop Weyland décide alors de monter une expédition scientifique dans le but d'aller explorer le site. Et comme par hasard, c'est un décalque féministe grossier de Ripley qui se coltine le rôle de guide. Arrivés sur place, le groupe de scientifiques découvre une gigantesque pyramide souterraine et s'enfonce dans les tréfonds du site millénaire, sans se douter du danger qui les attend. Dans le même temps, un vaisseau extra-terrestre Yautja survole les lieux et y dépose trois de ses occupants, des guerriers Predators. Ceux-ci vont bien sûr prendre en chasse les humains mais surtout essayer d'affronter la menace xenomorphe tapie dans les profondeurs du site. Car la pyramide est en fait un ancien lieu de culte dévoué à un rituel guerrier des Yautjas. Elle abrite encore en son sein une Reine xenomorphe, congelée depuis des millénaires, et dont le réveil ne sera pas des plus tendres.


Sans grande originalité, le pitch d'AvP essaie de contenter les fans en trouvant un bon prétexte à la réunion des deux monstres à l'écran. Pour ce faire, Anderson s'est clairement inspiré de la trame de la célèbre nouvelle de Lovecraft, Les Montagnes hallucinées, et lui emprunte son contexte polaire et son expédition scientifique piégée dans des ruines millénaires en compagnie de monstres anciens. Le postulat pioche aussi clairement dans les théories de l'essayiste Erich von Däniken qui défendait dans son ouvrage la thèse de l'intervention extra-terrestre dans le développement de la civilisation humaine. Deux influences ici évidentes (voir ce bref flash-back maya) et qui inspireront aussi à Ridley Scott quelques unes de ses idées pour Prometheus, huit ans plus tard. Rien de particulièrement original certes mais une volonté évidente de multiplier les références. Le réalisateur s'amuse alors à aligner les clins d'oeil aux comics (le culte Yautja et les pyramides, le duo formé par un Predator et une jeune guerrière convertie aux rites Yautjas) et aux films. Ainsi les xenomorphes d'AvP ont clairement pour modèle celui du premier film (leurs crânes n'étant pas nervurés comme ceux du film de Cameron), la Reine Alien est quant à elle semblable à celle d'Aliens à deux ou trois mètres près (Anderson ayant pu avoir accès à l'animatronique d'origine conçu par Stan Winston), et le fondateur de la Weyland se présente sous les traits bien connus de Lance Henriksen (le Bishop d'Aliens et Alien 3). Sans parler de Schwarzenegger qui devait faire un caméo à la fin du film dans le rôle de Dutch Schaefer (s'il ne gagnait pas les élections en Californie). Autant de références qui pourraient (et auraient pu) être gages de qualité si certaines ne se voyaient pas comme de véritables incohérences (les Predators ne chassant habituellement que dans des climats tropicaux, il est étonnant de les retrouver ici en Antarctique, sans les voir frissonner une seule fois).


Le gros problème est que Paul W.S. Anderson n'a rien d'un bon cinéaste et qu'il confirmait à nouveau ici qu'il est aussi un très mauvais scénariste. Il est de ces faiseurs sans génie qui se contentent d'exploiter les créations des autres sans les comprendre et misent tout sur la popularité des franchises qu'il adapte. Ceci sans jamais avoir l'ambition d'apporter quoique ce soit de réellement innovant : ses intrigues ne font que mixer bêtement les influences (et les attentes des fans) pour les resservir dans des scripts au déroulement prévisible et bourré de clichés. Dans cette optique, AvP remplit clairement son cahier des charges : on y retrouve une héroïne bad-ass, un gentil Predator, plusieurs xenomorphes, des personnages facilement sacrifiables, une star de la franchise Alien, la même Reine Alien autrefois magnifiée par Cameron, un lieu isolé se transformant en prison pour les protagonistes... Tout ceci pour prétexter la première confrontation des deux extra-terrestres à l'écran. Embauché sur le prétexte de mettre en scène les deux monstres vedettes, Anderson consacre alors une petite séquence à leur pugilat et multiplie les parti-pris stylistiques foireux, filmant ses créatures sous tous les angles, les cadrant de face et abusant des ralentis, en dépit de toute suggestion. Le cinéaste sait pertinemment qu'il n'arrivera jamais au niveau de ses prédécesseurs et ne cherche d'ailleurs pas à établir la moindre comparaison, ni même à mettre en valeur le travail de ses collaborateurs sur les décors et la photographie. C'est là tout le mérite d'Anderson, le réalisateur s'était de toute évidence déjà fait à l'idée que son cinéma était irrémédiablement mauvais et choisissait enfin clairement de l'assumer en faisant preuve d'autant d'intégrité artistique qu'un gamin de primaire.


En fait, Anderson s'apparente à une sorte d'Ed Wood moderne à qui on aurait donné les moyens de formaliser ses délires. Et Alien vs Predator n'est rien de moins qu'un pop corn movie SF décérébré, destiné au même public que ses Resident Evil. Un petit ride horrifique alignant les clins d'oeil faciles aux fans (on ne compte plus le nombre de plans nous montrant le logo de la Weyland) et les morts hors-champs (presque pas une goutte de sang à l'écran), suffisants pour faire frissonner les teenagers découvrant le cinéma d'horreur. Le réalisateur a néanmoins de la technique et il lui arrive parfois même de faire preuve d'inventivité, comme avec ce plan-séquence ouvrant le film, où les contours d'un satellite apparaissant peu à peu à l'écran sont filmés de manière à évoquer la Reine Alien. Mais les qualités de son travail sont bien trop rares pour relever le niveau de l'ensemble. On retient plutôt ses cadrages mal pensés, ses entrées dans le champ ratées, son montage haché, son abus de ralentis inutiles et son trop plein de SFX numériques... A ce titre, Alien VS Predator est certainement le "produit" le plus représentatif de sa filmographie : de la daube à 60 millions de dollars qui ne tend jamais à présenter la moindre qualité. A savoir que même l'affiche du film, tout juste digne d'une jaquette de FPS pour consoles, ne tente même pas de faire croire à un quelconque souci artistique.


Malgré tous ses défauts, le film fit un carton en salles et conforta la réputation de son réalisateur comme un faiseur rentable. James Cameron lui-même osa dire du film à l'époque : "Je l'ai vu et c'est pas trop mal. Je le classe troisième meilleur film dans la franchise Alien" (??). Mais on connait depuis quelque temps l'intégrité du réalisateur d'Avatar qui n'hésite jamais à monnayer son avis (doit-on rappeler qu'il disait aussi que Terminator Genisys était le meilleur film de la saga après les siens ?). Ridley Scott, lui, déclara n'avoir jamais vu ce cross-over et ne jamais vouloir s'y risquer. Suite au carton d'Alien vs Predator, les producteurs de la Fox mirent très vite sur les rails un projet de suite. Intitulé Aliens vs Predator : Requiem, ce second opus aura été confié aux frères Strause, deux infographistes étant passés là à la réalisation puis continuant avec le désastreux Skyline. Ceux-ci auront d'ailleurs réussi l'impensable, faire d'AvP 2, une suite plus mauvaise encore que le film d'Anderson. Déterminé à aligner les navets, ce dernier passera par la case Statham (avec le très con Death Race), montera sa version fantaisiste du classique d'Alexandre Dumas (Les trois mousquetaires, version kung-fu...), puis contentera l'ego de sa femme en revenant au péril zombie de Resident Evil (Afterlife, Retribution, Final Chapter). Et ce, avec tout le talent qu'on lui connait.

Buddy_Noone
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le 31 mars 2020

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