C’était peut-être un jeu dans la cours du collège, cette manie que nous avions, jeunes adolescents, de faire mine de prendre à la rigolade les films d’horreur diffusés la veille au soir. Si jeunes, il nous était encore difficile d’étaler nos biceps devant les filles puisque nous n’en avions pas. Alors pour les impressionner un peu, nous jouions à « même pas peur » et nous moquions des petits camarades effrayés par Freddy, Jason ou Damien. Puis nous avons découvert Alien, lors d’une rediffusion et le lendemain, plus personne de crânait dans la cours, à peine si nous osions en parler, tous livides de l’expérience que nous avions vécue la veille…Les filles avaient perdu de l’importance


L’espace sombre, vide et hostile ouvre son néant sur le Nostromo, gigantesque vaisseau cargo qui semble peiner à se frayer un chemin à travers ce grand rien que représente l’infini de l’univers. En son sein sommeille un équipage qui, d’entrée, semble vulnérable, comme livré à l’appétit féroce de d’un espace prêt à les avaler. Une lumière vient éclairer l’obscurité de l’astronef endormi, un signal venant d’un planétoïde non répertorié. « Maman », l’ordinateur de bord, réveille ses enfants qui iront, sur ce planétoïde, à la rencontre du plus grand prédateur jamais rencontré par l’espèce humaine. S’ouvre alors aux yeux terrifiés du spectateur, une stupéfiante chasse à l’Homme qui noue les tripes, assèche la gorge et supprime le sommeil.


Je suis incapable de dissocier Alien de Hans Ruedi Giger, artiste plasticien et père de cette créature féroce, être vertébral et organique, salivant de haine et de gourmandise à l’idée de la mise à mort arbitraire de tout être vivant croisant son chemin. Une créature graphiquement unique et d’une beauté incroyable, tellement belle que lorsqu’on la découvre, on ne désire que la voir plus, plus souvent. Elle apporte sa part d’horreur à un film mélangeant le thriller, la science-fiction, le huis-clos et bien sûr l’épouvante. Un film qui verrait un serial-killer extra-terrestre lâché, seul et armé de ses dents, au milieu de ses proies favorites, livrées en pâture à son inextinguible soif de sang. L’un après l’autre, méthodiquement, de manière chirurgicale et implacable, les membres de l’équipage vont tomber, sans pouvoir simplement faire mine de se défendre, sans un début de solution pour mettre à mort la créature. Ne restant debout à la fin qu’une d’entre eux, destinée à lier son sort à celui de la bête.


La vision de ce film peut revêtir un côté sadomasochiste, tant se mélangent les notions de plaisir et de souffrance, la beauté de ce monstre n’ayant d’égal que sa laideur, tout comme la souffrance n’a d’égal que le plaisir qu’elle dégage. Là se cache la frontière parfois floue, souvent ténue, entre le plaisir que l’on a devant un film et les qualités qu’il affiche. À bord du Nostromo, gigantesque estomac dans lequel la créature se charge de la digestion, Ridley Scott fait des couloirs des veines et des artères, des compartiments des organes et du vaisseau le dernier être vivant assistant au combat entre le pire des virus et le dernier anticorps. Un vaisseau-corps immense devenu trop étroit parce-qu'un être impitoyable l'a investi. C’était l’époque où le réalisateur prodigue frôlait la perfection plus qu’à son tour, créateur d’œuvres sur lesquelles le temps n’aura jamais de prise, sélectionnant ses interprètes avec le soin d’une mère pour ses enfants, liant à tout jamais Sigourney Weaver à Helen Ripley dans l’inconscient collectif.


Mes enfants, qui n’ont pas encore perdu innocence et illusions, me demandent parfois si la magie existe. Même s’ils ne peuvent encore voir Alien, je pense qu’avec ce film je tiens, pour plus tard, une réponse cinématographique convaincante à leur offrir. Rien ne manque et rien ne déborde, Ridley Scott, âgé alors de 42 ans, semblait habité par une flamme créative carburant à la foi dans le Septième Art, qui le mènera encore un peu plus haut trois ans plus tard. Jalon, référence ou classique, Alien est une œuvre totale où le hasard n’existe pas, survit juste le destin d’un film qui soigna autant le scénario que le son, les acteurs que la photographie. Bref, un chef-d’œuvre de deux heures tout en haut duquel trône avec arrogance et un regard froid de défi, bave aux lèvres et griffes dehors, un monstre de sadisme qui vous promet des montagnes de souffrance et de terreur.

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le 4 juin 2014

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Jambalaya

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