Banni, Titan bien intentionné
Des fastueux palais de l’Élysée
Est au Caucase, à jamais enchaîné,
Car par sa faute l’humanité,
Scrutant le ciel, s’est prit à rêver
Posséder les pouvoirs de l’Empyrée
Et mal intentionnée, s’est empirée


Tout bien considérée la science-fiction « spatiale » de cette dernière moitié de siècle, d’aucuns prétendra avoir été parfaitement comblés dans une salle de cinéma, à quelques fulgurances prés. Ce genre, qui a pourtant gratifié la littérature de si nombreux chefs d’œuvre (2001 et ses suites, Tau Zéro, Spin ou même Ubik, Dune et Fondation), s’exporte en effet assez mal au cinéma (qualitativement). Sitôt passé sous le giron du 7e art, ce dernier se révèle en effet décevant, chétif, frileux. À croire que l’exiguïté d’une feuille volante offre plus de possibilités que les mètres carrés d’une toile blanche. Contraintes techniques (ce qui était encore le cas il y a 10-15 ans, ne l’est assurément plus aujourd’hui) ou simple manque d’imagination (on n’oserait dire de courage) des scribouillards d’Hollywood, toujours est-il que le vaste champ offert par la science-fiction n’a jamais été, à quelques exceptions près, donc, ni défriché, ni labouré, avec succès. Au bout du compte, s’il ne fallait retenir qu’une poignée de ces films ayant pris la pleine mesure de leur potentiel, nous garderions, 2001 : l’Odyssée de l’espace, Solaris, Alien, Prometheus et Interstellar. Alien : Covenant vient de les rejoindre. Un film allant si loin dans le vice, la malice, l’abjecte, la monstruosité, la perversion et le mal et m’inspirant sur le coup quelques vers ne saurait en effet être qu’un énième échec.


Deux ombres en gardent l’entrée.
D’un côté le monde des vivants,
De l’autre le monde des morts,
Et sur l’indicible frontière où règnent les dieux,
Dans la désobéissance, David,
Se mêlent les deux.


Dire que les deux heures de film furent les plus éprouvantes de ma vie de spectateur intra muros est un malheureux euphémisme : je suis entré dans une salle de cinéma où brûlait l’entrain et l’optimisme ; par le tourment sonné et ployant sous le faix, je suis ressorti d’un tombeau où plus âme ne résonnait. De mémoire, je n’avais jamais vécu de supplice si douloureux et malsain si confortablement installé. D’où mon désarroi et mon interrogation : quand Hollywood a-t-il quitté la tempérance et l’abstinence de ses algorithmes pour l’impertinence et l’outrance de l’art ultime ? La question est légitime. Tout comme celle de l’analphabétisme de ses gros bonnets qui, psalmodiant plus que criant de coutume, nous avait d’avantage habitué aux divertissements décérébrés et formatés qu’aux projets ambitieux, originaux et radicaux.


Sous le sceaux de l’unique
David abattit sa justice inique,
Et de l’éther olympique
Fit de la vie une mortelle relique.


Aussi peut-on se demander si, tout comme nous, ces indignes, et on le devine aisément, ventripotents personnages n’ont pas été dupés par le vieux singe Scott. On peut tout à fait se figurer, avec un brin d’imagination, le presque octogénaire l’air pénétré et les yeux injectés de sang, battre l’air californien à grands coups de moulinets, en essayant de faire comprendre, tout en noyant le poisson, l’objet de son film aux pontes de la Warner. Lesquels, on n’en doute pas, pour s’en débarrasser jusqu’à l’année prochaine, lui ont probablement signé un chèque en blanc. Gageons qu’une fois les premiers rushs montés, la terrible engeance comptable tenta de faire opposition. Trop tard. Surprise donc dans la salle de projection de la Fox : il n'y a en effet pas plus à voir entre Covenant et Prometheus qu'entre ce dernier et Alien. De la même manière, ceux qui l’ont vu savent que les deux minutes de la bande d'annonce ne préfigurent rien des deux heures du film fini. À mon plus grand plaisir et celui des rares autres gentilshommes (comme en témoigne sa réception mitigée). Il y a tellement de pistes mal démarquées, de couloirs mal éclairés, de dédales et de recoins trop sombres pour être inspectés que l’absence manifeste de bon goût du film se révèle le sommet de la classe. Faute d’une clarté suffisante, on ne saurait en effet juger un individu à ses chaussures : seule sa démarche aurait alors une quelconque valeur d’information. Ici, elle est incontestablement celle d’un cinéaste au sommet de son art, réglant son testament dans les boucles de ses « r », de ses « i », de ses « d », de ses « l », de ses « e » et de ses « y », dans l’épaisseur de son trait et dans l’ombre de sa filmographie, une des plus commentées de l’histoire. Si bien que, devrais-je me risquer (me compromettre) à la conjecture et verser dans l’hypothèse, c’est sans conviction mais avec une pointe d’autosatisfaction que je vous dirais : le prestige, incontestablement, est à venir. À constamment rabattre les cartes et louvoyer comme un chasseur sous les radars, on peut naturellement se demander dans quelle mesure Sir Ridley ne commettrait pas l’impair de nous tromper. Récit d’une mystification tour en trois actes.


La promesse est celle du péché.


Des origines, ne voyant que ténèbres,
Et hors de l’Eden, promit au feu éternel,
L’homme reproduit le péché Originel,
Celui du Père qui précipita son destin funèbre.


Dans sa détresse, parcourant l’univers,
Il conçu ainsi l’intelligence et ses effets pervers,
Qui immanquablement, bien après la date
Fit mentir la Bible : David est Goliath.


Voici donc la promesse et ma façon de penser, qui n’est, notez bien, ni d’un superstitieux, ni d’un athée. Prometheus, faisant route aux confins de l’univers, entendait se faire rencontrer les Écritures et la Science, l’Arbre et le Fruit : mû par ces deux principes, ses plus puissants réacteurs, l’humanité devait ainsi rencontrer ses créateurs et répondre à la sempiternelle et insoluble question du pourquoi. Pas plus la science que la foi n’avait en effet jusqu’ici su apporté de réponse satisfaisante, pas plus que l’une sans l’autre n’aurait su amener l’homme si loin de chez lui. Pourtant, on croyait alors que la première allait prendre l’avantage sur la seconde et que la foi, ébranlée par la découverte d’êtres en tout point supérieurs mais en rien divins, éclaterait, lorsqu’une réponse inattendue fut finalement apportée. Si celle-ci ne leva point le voile sur notre ascendance, elle établissait en revanche la date de notre fin, et, en filigrane, la raison. Au nom d’une faute commise il y a environ deux milles ans, l’Arbre décida d’abandonner le Fruit pourri et de débarrasser l’univers de l’objet corrompu. Les références à la Nativité et à l’Immaculée Conception qui émaillent le film firent le reste de la démonstration et ramenèrent directement l’homme au début de son ère : au Golgotha et à la Crucifixion. Cependant, la question, bien que balayée par ces nouvelles considérations, subsistait. Quand bien-même ces êtres nous auraient créé, l’existence d’une Force Supérieure demeurait : qui donc forgea nos forgerons ? La morale voulue alors que la Création renverse son Créateur et défassent ses chaînes. Le curare noir des uns et l’humanité fantoche des autres devaient signer leur perte.


Le tour, ou l’absence de salut


Des entrailles d’un mausolée violé, ébranlant la nuit
Accoucha l’Apocalypse et l’Antéchrist averti :
« Redoutez le nombre de mes lames condottières
Et le fracas de leurs armes sur vos deux misérables hémisphères ».


Qui d’Aaron ou de Moïse, David, d’Abel ou de Caïn,
Trahit les liens du sang et fit fondre le Veau d’Or ?
Nul endroit sur cette plaine où ériger pareille ruine,
Guère plus un seul homme pour accueillir l’aurore.


Évadé du grand Feu, s’acquittant de brûlures
Elle monte vers les cieux pour étouffer sa lueur
Malheureux pécheurs, nous devrons souffrir son heurt
Périlleusement croisant bâbord et tribord amure.


Blâmerait-on David, d’avoir regardé dans le prisme
De notre humanité surannée, et signé l’épitaphe
De son obscur lignage, son propre atavisme
Qui, dévoré par le diable, repose sous les cénotaphes ?


Covenant, comme Prometheus en 2012, tient une nouvelle fois ses promesses en ceci qu’il n’en faisait aucune, sinon celles que notre imagination pouvait se faire, et ne pouvait donc ni y prétendre, ni les bafouer. La ligne directrice adoptée il y a cinq ans est restée la même, quoiqu’en dise certain, et embrasse à nouveau le mystère de la Création, et les abimes de la Bible, de la Science et du Mystère, liant les deux et communément appelé Dieu. Cependant, quelque malade soit mon esprit, jamais au grand jamais je n’aurais pu m’imaginer pareil traumatisme, pareille horreur. Si le sort de la pauvre Elizabeth Shaw m’apparut assez clairement au seul constat de la mauvaise fortune de son odyssée, les causes de son trépas et l’ampleur des tourments qu’elle endura m’étaient quant à eux hors de portée. C’est de la condamnation à mort de l’héroïne et de son entreprise, parfaitement à huis-clos, loin des yeux du monde, que le film tire une partie de sa puissance : dix années ont passé et rien n’est arrivé, si ce n’est le mal, sommeillant quelque part dans l’univers et attendant son heure. Enfin, c’est évidemment l’horrible dessein de David qui propulse Covenant dans des contrées qu’il est et restera à jamais le premier à avoir visité. Fomenter la destruction de ses maîtres est une chose. Exécuter celle des nôtres en est en revanche une autre. Parce que incestueux et injuste, l’ambition de David tient de la parabole biblique et de l’apocalypse.


« Alors je répandrai sur la maison de David et sur les habitants de Jérusalem Un esprit de grâce et de supplication, Et ils tourneront les regards vers moi, celui qu'ils ont percé. Ils pleureront sur lui comme on pleure sur un fils unique, Ils pleureront amèrement sur lui comme on pleure sur un premier-né. » Zacahrie 12:10


De là à dire que David s’imagine le dernier « homme », il n’y a qu’un pas que l’intelligence artificielle lui a fait faire. Mais à l’instar du supercalculateur HAL 9000 de 2001 : L’Odyssée de l’espace, l’ambition de David est pervertie par un inversement des valeurs du Dernier Homme de Nietzsche qui devrait justement se démarquer par son absence d’ambition.


« Voici, il vient avec les nuées. Et tout œil le verra, même ceux qui l'ont percé ; et toutes les tribus de la terre se lamenteront à cause de lui. Oui. Amen ! » Apocalypse 1:7


Le crime odieux de David n’est pas ici celui du père mais du grand-père. C’est non seulement confondre tout son lignage et outrepasser la logique de l’Histoire mais priver son propre père de venger sa naissance (comme dirait Cioran). L’immondice de son crime est alors la démesure de son ambition, la négation de la Volonté de Puissance de Nietzsche (qui ne serait plus alors l’essence de la vie mais l’essence de la mort) et le déracinement total de l’Arbre jusqu’aux Racines. David immolant les Ingénieurs, c’est Brutus poignardant Caius Julius Caesar, c’est l’Homme tuant Dieu. Son crime le plus odieux est donc finalement son aspiration la plus merveilleuse : placer le Parfait et le Beau au-dessus des créatures de l’univers et n’obéir qu’aux lois de l’art véritable.


De la cendre dans la bouche, la Création annonça un nouvel Âge,
Prophète, elle moissonna la sienne et sema la mort, son héritage
Quand, répandant telle la Huitième, sa propre plaie sur sa propre ville,
Elle envoya dans la Suivante, les créateurs au nombre de mille
.


« Je suis l'alpha et l'oméga, dit le Seigneur Dieu, celui qui est, qui était, et qui vient, le Tout-Puissant » Apocalypse 1:8

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le 19 mai 2017

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