Il manquait à la palette éclectique de Mann le biopic, genre dans lequel les américains sont capables du pire comme du meilleur. Sur le même principe de construction que pour Révélations, il monte un puzzle au départ assez disparate, avant que ne s’assemblent les fragments dans une dynamique au long cours.

L’entrée en matière n’en reste pas moins pesante, voire déconcertante. Étirée inutilement, notamment par des passages musicaux à la longueur déraisonnable (procédé qui reviendra régulièrement tout au long du film), fragmentaire entre plusieurs époques et enjeux (le sport, la ségrégation, les figures politiques…), elle clame un peu trop haut et fort la singularité de traitement par Mann.
Il n’en reste pas moins que celle-ci sera le plus souvent au bénéfice du projet, à rebours de la tonalité généralement hagiographique des biopics. La distance est un élément clé, et Will Smith, très convaincant, l’a fait sienne dans son jeu. Mann décrypte le personnage davantage qu’il n’admire la personne, notamment dans ses fanfaronnades, ses saillies verbales en contradiction avec la peur qui peut se lire sur son visage face à certains de ses adversaires. Le personnage secondaire de Bundini, interprété par Jamie Foxx, en est un autre exemple, sorte de gourou de pacotille qui profère de grandes phrases mystiques tout en cédant à la drogue, allant jusqu’à revendre la ceinture du champion pour ses doses. Ali était un être de langage et frappait autant avec les mots qu’avec les poings : le film insiste à raison sur cet aspect, faisant de lui une sorte de slammeur, un entertainer hors pair, notamment dans ses duo avec le journaliste Cosell, (Jon Voight assez méconnaissable), opérations de communication comme seul la télé américaine sait en écrire. Mann capte avec une grande finesse l’impact du boxeur : sur les foules, certes, par un parcours méticuleux parmi les visages constellant l’assistance, ou la liesse lors de son arrivée en Afrique, mais surtout sur les journalistes, lors de nombreuses conférences de presse : leur rire, leurs provocations, les répliques dessinent une stimulante cartographie des sixties américaines et de leur effervescence.
Car Ali est un film profondément politique. Islam, droit civiques, média, Vietnam, incorporation convergent vers la figure du « champion du peuple », qui s’oppose au gouvernement mais peine à déterminer sa place face à divers groupes d’influence. Aux débuts laborieux succède une alchimie convaincante, mêlant sport, société et vie sentimentale sur un montage ambitieux et souvent pertinent : Ali s’enflamme pour sa cause comme pour ses épouses successives, et règle ses comptes sur le ring.

On en oublierait presque qu’il s’agit d’un film sur la boxe, un des terrains de défi pour cinéaste : secondé par le chef op Emmanuel Lubezki, Mann expérimente : montage nerveux, caméra embarquée préfigurant la GoPro, vue d’ensemble et très gros plan : toutes les techniques sont convoquées pour honorer la fameuse danse du papillon, admirablement menée par Smith. Plus de vingt ans après Raging Bull, le septième art a encore quelque chose à dire sur ce sport.

S’il ne déroge pas à la règle traditionnelle du combat dont la victoire incertaine permet l’apogée du film, Mann remporte une autre mise : celle d’avoir dressé un portrait complexe avec distance et empathie, miroir d’une époque et d’une identité toujours difficile à appréhender : celle de l’Amérique.

(7.5/10)

http://www.senscritique.com/liste/Integrale_Michael_Mann/1355658

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le 20 févr. 2023

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Sergent_Pepper

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