Alex Wheatle
6.5
Alex Wheatle

Film de Steve McQueen (2020)

[Avertissement : Tous mes textes sur la série "Small Axe" sont regroupés dans la section consacrée à celle-ci, la longue introduction sur la série est commune à toutes critiques]


Small Axe :
Nous, Français, voire Européens, sommes toujours partants pour critiquer, voire se gausser des USA, auxquels nous aimons attribuer tous les crimes et les péchés du monde. Le racisme profond de la société états-unienne est indiscutable, et il est chaque fois plus clairement souligné, comme ce fut le cas l’année dernière avec le mouvement Black Lives Matter : pointer du doigt ce répugnant phénomène nous permet néanmoins souvent de nous dédouaner des mêmes crimes, comme si, « chez nous », forcément, ce genre de choses n’arrivaient pas. Le premier – et immense – mérite des cinq films de Steve McQueen, regroupés sous le titre de "Small Axe" et « vendus » au public des plateformes comme une série TV, est de nous raconter, sans détours, que les horreurs que nous dénonçons de l’autre côté de l’Atlantique, ont été perpétrées de la même façon chez nous (et le sont encore, bien entendu !).


Les cinq films proposés, de durée variable – le plus long, "Mangrove", dépasse les deux heures, le plus court, "Education", dure une bonne heure -, nous racontent quelques épisodes – historiquement importants ou simplement anecdotiques, ce qui ne veut pas dire qu’ils soient moins pertinents et moins forts – de la difficile intégration (si l’on peut utiliser ce mot dans le modèle dit « multiculturel » de la société britannique) des immigrés antillais, et dans ce cas-ci, souvent jamaïcains, à Londres. Les cinq récits se déroulent entre 1969 et 1982, à une époque où le National Front (équivalent britannique de notre très cher RN) et les idées racistes proliféraient, idées qui avaient été d’ailleurs violemment combattues par une partie de la jeunesse « blanche », en particulier au sein du mouvement punk.


Les nostalgiques éventuels – comme nous ? – de cette époque musicale particulièrement féconde, avec le punk rock, mais aussi l’avènement du reggae comme musique populaire, et l’éclosion du ska britannique comme excroissance métissée de la musique jamaïcaine -, pourront d’ailleurs déguster au fil de "Small Axe" - dont le titre fait référence à une chanson de Bob Marley prônant la révolte individuelle contre le système oppresseur (« So if you are the big tree / We are the small axe / Ready to cut you down (well sharp) » - Si vous êtes le grand arbre, nous sommes la petite hache, bien aiguisée, prête à t’abattre…) - une multitude de titres-cultes de la musique jamaïcaine !


Inévitablement, même si Steve McQueen est l’un des auteurs-réalisateurs anglais les plus importants des dernières décennies, la qualité des cinq films est variable, allant de l’exceptionnel au plus moyen. L’importance néanmoins du discours tenu, du témoignage apporté sur des événements jamais vraiment vus au cinéma encore, est indéniable, du premier au dernier : on pourrait même dire que, alors que la Grande-Bretagne vit actuellement dans la foulée du Brexit et avec les dernières mesures liberticides du gouvernent Johnson, un virage vers l’isolationnisme et la haine de l’autre inédit dans son histoire, le timing de "Small Axe" est impeccable. Et que, quelque part, il est moins approprié de juger ces films sur leurs qualités cinématographiques que sur la force et l’importance du message politique et social. Faisons néanmoins un rapide état des lieux…


Alex Wheatle :
"Alex Wheatle" est une sorte de biopic de la jeunesse de l’écrivain du même nom, qui montre son difficile apprentissage de la lutte individuelle au cours d’une trajectoire malheureusement assez « classique » des épreuves de l’orphelinat à la prise de conscience de la force de l’éducation, en passant par la rue et par les gangs, et, inévitablement sans doute, la case prison (avec des scènes mi-drolatiques, mi terribles, de coexistence dans une cellule avec un géant aux problèmes intestinaux odorants !). On a un peu plus de mal à s’impliquer dans ce parcours, peut-être à cause d’une narration trop morcelée, peut-être à cause d’un acteur (Sheyi Cole) un tout petit peu moins impressionnant, sans doute aussi en comparaison avec les trois autres films qui ont précédé. Par contre, le gros point fort de "Alex Wheatle", c’est sa description des émeutes de Brixton de la nuit du 10 au 11 avril 1981 (Remember la fameuse chanson de The Clash, "Guns of Brixton", qui, deux ans avant, annonçait le désastre ?) : antagonisme « racial » d’une police toujours aussi méprisante et violente vis-à-vis de la population noire, ou plutôt affrontement « social » entre les défavorisés et un monde qui persiste à les ignorer ? La question ne sera jamais résolue, sans doute parce que les deux font la paire. Avec l’aide de quelques documents d’archives judicieusement intégrés, reliant les émeutes de Brixton à l'attentat raciste de New Cross, McQueen fait en sorte ici que nous n’oubliions pas que nous sommes tous assis sur une poudrière que nous alimentons chaque jour par notre indifférence. Cinématographiquement, on peut néanmoins dire que Brixton et sa colère rendent le destin de Wheatle un peu trop « exemplaire ». Et moins convaincant... même s'il nous faut reconnaître que la sobre conclusion sur le sublime "Natural Mystic" de Bob Marley est parfaite !


[Critique écrite en 2021]

EricDebarnot
7
Écrit par

Créée

le 20 mars 2021

Critique lue 203 fois

4 j'aime

Eric BBYoda

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