Alabama Monroe pose problème(s).

Déjà, sa bande d'annonce : qui peut s'imaginer voir le film tel qu'il est en voyant sa bande d'annonce ? On me vend une histoire d'amour complexe au sein d'un groupe de country, j'attends donc l'histoire du groupe, la rencontre, l'ascension, les tensions, les ruptures. Hé bien non.

Pas que la surprise et l'originalité soient des défauts, mais vendre un mélo musical pour une comédie dramatique dans le milieu de la country est problématique. Soit. Donc la narration est éclatée entre plusieurs époques, que l'on peut d'ailleurs successivement prendre pour le présent de l'action. Le vrai présent survenant en réalité assez tard dans le récit mais passons. L'idée d'éclater le récit pour faire des rapprochements entre des séquences et des souvenirs qui y sont liés n'est ni bonne ni mauvaise, elle manque juste d'originalité et, ici, de vraie utilité. Il y a un côté arbitraire et presque déplaisant dans cette construction artificielle, même si elle permet d'éviter dans un premier temps le pathos - qui rassurez vous dégoulinera rapidement.

Donc Didier est grand, barbu et country man. Il aime Elise, une jolie blonde tatouée (magnifique Veerle Baetens), ils ont une petite fille adorable. Mais elle a un cancer et elle meurt (ça vient rapidement, on se calme les enragés au fond). La première partie du film alterne donc des scènes datant de la rencontre entre les amants, la naissance et l'éducation de la petite, la maladie, le combat, la défaite. Il y a de très belles scènes, il faut bien le dire, à l'hôpital notamment, qui est montré comme un lieu de vie et d'espoir, ou à la maison, quand la petite rentre quelques temps. Les chansons country du groupe sont très belles dans un registre que je fréquente et connais peu, l'esthétique est soignée : belle photo, mise en scène sensuelle, superbes scènes d'amour. Mais problème : le symbolisme lourdaud. Oui, ce même symbolisme qui va plomber tout le reste du film, là où"La Guerre est déclarée" gagnait sur tous les tableaux grâce à une inventivité constante.

Car une fois l'enfant décédée (et oui, j'ai pleuré comme une merde lors de l'enterrement, début du pathos dans le film), on s'attend à une étude entomologique du couple qui se fissure et se reconstruit. Le film s'y essaie, c'est vrai. Mais il choisit pour cela une opposition étrange entre la spiritualité naïve d'Elise (un mix entre à peu près toutes les croyances possibles et imaginables) et le rationalisme forcené de son conjoint. Forcément ça gueule, ça nous envoie des scènes hystériques, gratuites et détestables dans la tronche et pendant un temps très long, on s'ennuie et on attend.

On attend que le récit recolle ses morceaux, puisqu'une séquence bizarre où Didier accompagne son épouse inconsciente à l'hôpital nous est montrée. On oublie totalement cette séquence pendant le tour de montagnes russes émotionnelles et artificielles du couple qui se déchire sous nos yeux. C'est dommage, ça ne marche pas très bien. Et puis il y a la dernière partie, le souffle final qui fait que le film suscite malgré tout et malgré moi, mon adhésion.

Elise est devenue Alabama. Ellese l'est même fait tatouer. Ironique, elle suggère Monroe à Didier en guise de nouveau nom, et en référence à un pionnier du bluegrass. Un concert tourne au règlement de compte et Didier se lance dans une diatribe hallucinante (la scène est vraiment, vraiment bizarre) contre la religion et contre les croyances. C'est très osé, et sans partager tout ce qui est dit dans cette séquence je trouve le geste du scénariste respectable. C'en est trop pour Alabama qui fuit. On retrouve alors enfin la scène bizarre hospitalière entraperçue plus tôt. On comprend alors qu'il s'agissait d'une manipulation artificielle de trop, qu'on était censé saisir immédiatement qu'elle était en danger de mort, qu'il risquait de perdre l'autre femme de sa vie, suspense ou chantage émotionnel à fond les ballons. C’est presque une qualité que le film nous ait paumé jusque là.

Les dernières scènes du film, qui reconstituent la tragédie finale, sont très belles, notamment le dernier plan, qui je l'avoue, m'a juste achevé. Étrange errance de la caméra subjective mais irréelle vers Didier, dont le parcours nie immédiatement les deux minutes précédentes, puis scène finale apaisée mais pas apaisante. Les larmes coulent, et le film, aussi bizarre, foutraque, bancal et tout ce que vous voulez soit-il, reste tout de même drôlement émouvant. Pris en traître, donc. "Invitus, invitam."

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le 16 sept. 2013

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Krokodebil

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