Heureux qui, comme Aguirre, a fait un beau voyage...

1560, peu de temps après la conquête du Pérou, le conquistador Gonzalo Pizarro envoie une importante expédition à la recherche de l'Eldorado, la fameuse cité d'or. Dès le début nous apprenons que cette cité n'est finalement qu'un mythe inventé par les incas pour se venger des espagnols; nous savons donc avant même que le film n'ait commencé que cette entreprise ne sera que vacuité et qu'elle se traduira irrémédiablement par un échec cuisant.

En effet, la recherche de l'eldorado ne représente finalement pas l'axe majeur du film, mais plutôt un moyen de voir comment ce groupe plutôt hétéroclite évoluera dans cette jungle remplie de dangers pour la plupart invisibles. Parmi les membres de cette expédition, le lieutenant Aguirre, une sorte de mégalomane, manipulateur charismatique et dangereux, un peu rêveur, un peu prophète va diriger ce groupe et repousser les limites au delà du raisonnable afin de satisfaire son avidité. Mais le plus effrayant chez Aguirre, c'est qu'aussi dangereux qu'il soit, même avec sa démarche animale ou son regard diabolique, alors que tout devient irréaliste autour de lui: du prêtre qui jusque dans la jungle veut prêcher la bonne parole, des indiens qui s'étonnent que la bible ne parle pas, de ces femmes qui jusque dans les fleuves boueux de l'Amazonie cherchent à rester élégantes, ou alors ce chef d'expédition, qui, encerclé par les indiens cherche encore à enterrer chrétiennement les morts, alors que même la jungle semble perdre la raison (la scène du bateau perché dans les arbres), il reste le seul à garder la tête sur les épaules et à garder un semblant de raison. On pourrait même dire qu'il reste le plus humain du groupe, puisque loin de ne rechercher que la gloire de Cortès, ou les montagnes d'or de l'Eldorado, tout ce qu'il attends c'est une terre et une descendance, même si poussé dans des proportions provocantes (puisque sa descendance est une descendance "pure" qu'il veut avoir avec sa fille comme pour atteindre une certaine immortalité, et sa terre l'Eldorado), cela reste deux attentes profondément humaines. En surinterprétant peut être un peu, on pourrait presque dire, quitte à se fâcher avec Aristote, que ce qui fait l'humanité d'Aguirre, c'est avant tout son côté bestial, là où tous les autres membres de la société (le prêtre, le roi, le simple soldat, ou le capitaine) paraissent creux et dénués de vie.

Côté réalisation, c'est là aussi très impressionnant; le fait que le film ait été tourné sur place et avec les moyens du bords (le film a été tourné dans la forêt amazonienne, près du Machu Pichu et le budget était très limité) donne un côté très spontané à certaines scènes, certains plans comme la descente de la montagne dans le brouillard restent tout simplement magnifiques. La manière de filmer la jungle mais presque pas d'indien contribue à instaurer cette ambiance mystique et dangereuse, et donne à la nature une forme presque humaine. La jungle devient donc l'ennemi de ce groupe, la personnification de la colère de Dieu qu'Aguirre a provoqué.
Ano
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le 31 déc. 2011

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le 19 août 2012

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Ano

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