Mélancolie ou politesse du confort

Il est de ces films qu'on attend avec beaucoup d'appétit, qu'on aime presque par avance, et dont la déception fait l'effet d'une douche froide. Ce n'est sûrement pas avec Aftersun que Charlotte Wells laissera un nom impérissable dans l'histoire du cinéma anglo-saxon. Sur le papier, le propos est excitant : nous suivons le quotidien des dernières vacances qu'une fille et son père passent ensemble.

Si, à la vision du résultat, les intentions de la cinéaste paraissent si floues, c'est parce qu'elle se contente de réciter le plus sagement du monde une recette tout à fait éculée dans un certain cinéma d'auteur mondial. Aftersun se veut un film "qui fait du bien", comme c'est l'usage en ce moment, avec une pointe de mélancolie pour rappeler que, tout de même, dans la vie, il y a aussi des difficultés à surmonter.

Cette mélancolie est présente dans la thématique de la séparation, qui plane sur nos deux protagonistes tout au long du film, mais aussi dans une certaine nostalgie des années 90, qui s'incarne dans les objets technologiques qu'utilisent régulièrement les personnages, notamment en filmant le quotidien de leurs vacances, élément que la réalisatrice semble, la majorité du temps, considérer comme une fin en soit, d'avantage que comme un moyen de créer de la mise en scène.

Le film en est noyé dans une accumulation de poncifs, exemplairement la scène de karaoké, moment de tendresse syndical, semble-t-il, dans la mode des films de vacances. On chercherai en vain une once d'originalité, ou disons, un regard différent, aiguisé dans la réalisation, qui nous convaincrait que cette scène telle qu'elle se présente ne pouvait être tournée que par Charlotte Wells et non par n'importe quel autre cinéaste. La réalisatrice confond purement et simplement le dépouillement stylistique de la narration au profit de l'étirement, de la mise en scène sans jugement du quotidien, et l'absence totale de vision, de personnalité.

Mais ce qui limite réellement le potentiel de l'entreprise, c'est l'absolue inattention de Charlotte Wells aux signes sociaux de ses personnages. Qu'on me le dise, lequel des corps qu'elle met en scène n'est pas parfaitement beau, lisse, gentil, séduisant, édulcoré jusqu'à l'irréel ? Dans un soucis de rendre ses personnages universels, identifiables à n'importe qui, Wells prend soin d'invisibiliser totalement leurs conditions matérielles. Cela devient beaucoup trop facile. Et par ce procédé, comme toujours, nous obtenons un film tout ce qu'il y a de plus confortable, une œuvre "comme il faut", des plus auto-satisfaisantes (et pour cause : Aftersun plait énormément).

Quand on attend du cinéma qu'il nous tire de notre confort, Afersun est un film devant lequel on s'ennuie poliment, sans plaisir ni déplaisir particulier.

On ne peut condamner définitivement une femme qui, lors de plusieurs scènes, fait montre d'une vraie sensibilité, d'un désir que capter des instants de vie (le plan fixe s'attardant sur les vagues dans la nuit, la scène du bain de boue). Nous verrons sans doute d'elle d'autres films plus estimables. Mais avec ce premier long-métrage, Charlotte Wells ne peut prétendre, pour l'instant, compter parmi les cinéastes dont la carrière sera suivie avec intérêt.


grisbi54
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le 5 févr. 2023

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