La famille que l’on nous présente est calme mais sous l'emprise d’une mélancolie qui semble tirer vers la crise existentielle. Ce qui marque, c’est la manière dont elle nous est offerte : à distance. Souvent filmés à partir d’une autre pièce, systématiquement regardés de l’extérieur dans les scènes de voiture (ou ce qui semble être une voiture car en réalité nous n’avons qu’un focus sur une vitre sur laquelle se reflète un monde extérieur défilant, qui n'entre jamais en collision avec les personnages d'ailleurs), il nous est difficile d’entrer dans cette intimité. Aussi, nombreuses sont les scènes où les personnages se parlent dans un faux champs-contre-champs à travers un outil de communication du genre Skype, ce qui accentue à nouveau l’idée de distance, et théorise peut-être même un semblant de vie commune.


Alors vivent-ils réellement ?


En restant à l’extérieur de sa propre vie, on laisse les autres vivre à notre place. L’androïde (jamais qualifié comme tel) nommé Yang laisse derrière lui des souvenirs visionnables. Le rêve. Le spectateur a enfin droit à une entrée réelle dans l’intimité de cette mystérieuse famille. La musique synthétique d’atmosphère jusqu’à lors omniprésente s’arrête immédiatement pour laisser place au son réel de l’enregistrement vidéo de moments choisis au hasard de la vie des personnages. Play. Repeat. Pause. Zoom. Le père, brillamment interprété par Colin Farrell, se fait alors observateur de ses propres moments d’errance. Se mêlent alors la réalité nette du point de vue du non-vivant au souvenir confus et forcément erroné du vivant. Bouleversé sont les deux parents qui se rendent compte de leur propre échec à se sentir en vie.


Se sentir vivant, n’est-ce pas cela finalement, la mémoire ?


Les seules scènes où l’on entre dans l’intimité des personnages, où l’on est à l’intérieur des pièces, où les personnages sont ensemble, se regardent dans les yeux, ont des émotions, ce sont les souvenirs de l’androïde. « Je suis tranquille avec l’idée qu’il n’y a rien après la mort » dira-t-il à la mère, médusée. Reconnaissant, conscient de son aspect éphémère, Yang cultive ce qui semble manquer à une humanité fatiguée et en proie à la perte de sens et qui ne côtoie même plus la nature, enfermée dans un décor froid et lisse, n'ayant qu'une vitre comme contact avec le monde extérieur. Des plans sur l’air dans les arbres, des plans sur des rochers près d’un tronc, des plans sur une famille unie, offrant à des yeux de sensibles spectateurs l’image de la famille parfaite, pourtant ponctuée par l’impatience de ces sujets ne comprenant pas la contemplation qu’ils suscitent. La beauté est ignorée. Les adultes du film parcourent leur propre vie en constatant qu’il est trop tard pour rattraper de tels instants que leur cœur a bâclés. Eux n’ont pas la limpidité de ces souvenirs. Peut-être s’éveillera en eux une jalousie de ne pas avoir cette faculté à saisir la joie de vivre de Yang, une jalousie de constater que ce dernier a eu plusieurs vies différentes, lesquelles toujours parsemées de milliers de souvenirs nécessairement compressés. Il vit plus qu'eux, mieux qu'eux.


Portes ouvertes.


Malgré ma compréhension (sans doute partielle) du film, je reste assez perplexe sur l’effet qu’il a eu sur moi. Peu d’émotions m’ont traversé à son visionnage. Fatigué dans un premier temps par la musique atmosphérique un peu « psycho sci-fi » qui a tendance à me gonfler d’autant plus dans des scènes qui gagneraient en force avec du silence, je me suis efforcé à y trouver une signification durant le film, par rejet esthétique. Je suis gêné par les quelques répliques attendues de films sur l’intelligence artificielle (« est-ce qu’il ne rêve pas d’être humain ? – C’est bien une question d’humain, ça ») et la touche du cinéma américain indépendant de ces dernières années : les plans qui durent, cette photographie un peu aplanie, la mélancolie comme jeu principal du casting, les concepts de mise en scène répétés pour vanter leur originalité (que je reconnais). Aussi, le film ouvre de nombreuses portes intéressantes sans vraiment pallier à ma frustration. Suis-je trop superficiel au point de vouloir une résolution à tout (je demande en réalité plus d’exploration) ou est-ce le film qui ne sait plus vraiment comment se terminer ?


Voyez AFTER YANG.

Ça vaut le coup.

latuile
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le 22 juil. 2022

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Franky Latuile

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