Il est inconcevable que James Gray, profondément amoureux du Impitoyable de Clint Eastwood n'est pas intentionnellement évoqué Space Cowboys dans les quelques largeurs de son Ad Astra. Bâtir une oeuvre autour de plusieurs générations d'acteurs tient de la charpente cinéphile pour le réalisateur de Little Odessa qui atteint ici-même la phase terminale de sa double quête thématique, celle du père et celle non moins fondamentale du sens de la vie. Le Nouvel Hollywoodien Donald Sutherland et Tommy Lee Jones (dissociés à l'écran) reprend pour l'occasion son scaphandre rouge pour une extension quasi philosophique de son rôle de sacrifié dans une nouvelle mission suicide. Il aura suffit à Gray de gommer le romanesque Eastwoodien pour insuffler à la place une obsession au scientifique Clifford McBride dont la conception de la famille se réduit au néant sentimental. Ma place est ici et non pas auprès de vous marmone-t-il à son fils. En cause, ce qui anime les hommes selon Kant, les passions et en l'occurrence celle de la recherche d'une vie extraterrestre. Le néant, un seul mot pour synthétiser l'absence du père en corrélation avec le vide intersidéral. Le réceptacle émotionnel incarné par un Brad Pitt (Roy McBride) tourmenté malgré ses extrêmes capacités physiques et mentales est le corps au sens conducteur physique des émotions et la représentation de la matière brut. Le véhicule de chair et de sang animé de conscience qui voyage de planètes en planètes ne serait en partie qu'une anomalie de notre système solaire. Une enveloppe organique pétrie de questions philosophiques qui n'aurait de sens que dans la recherche quitte à être dans la déception si la réponse s'avérait à sa portée. À contrario d'Interstellar qui reste au niveau athéiste de sa réflexion basées sur les lois de la physique, (le temps/l'espace avec quelques réponses à la clef) Ad Astra ne s'écarte jamais réellement de ses croyances. C'est son agnosticisme (scepticisme ?) qui le force à se baser sur les théories scientifiques et à ne représenter aucunes formes métaphysiques ou religieuses à l'écran mais qui intime l'ordre aux spectateurs de toujours croire en une conscience. Pas de Monolithe noir auquel se raccrocher qui amorcerait un début de réponse, ni même l'espoir d'un organisme microscopique vivant. Tout comme la disparition du père et du fils dans Lost City of Z, Gray ne donnera aucune réponse. D'ailleurs, le dernier Laïus de Clifford McBride auprès de son fils atteste que dans cette partie de l'univers il n'y a que le vide. Lorsque que l'on sait que notre système solaire s'apparente à un grain de sable dans l'univers, la probabilité d'obtenir la vie sous une autre forme est potentiellement viable. Le seul fait de porter son choix près de Saturne afin d'y déployer le projet Lima permet d'établir un fort degré de réalisme. Cette planète, l'une des plus imposantes avec Jupiter est susceptible d'y développer une vie microbienne. Ad Astra s'apprécie comme spectacle mais aime s'attarder sur le hors champ de lectures bienvenues afin de gainer son authenticité. Un geste altruiste du réalisateur de The Yards envers son spectateur pour mieux le guider au sein de sa psyché dominée par la frustration.


La mission de Roy se solde donc par un double échec. La mort brutale du père après des années de séparation avec comme sépulture la dérive du corps dans le froid et l'oubli puis l'absence de conscience (et de sens ?) à l'intérieur du grand vide peuplé de corps célestes. L'optique toute personnelle est de reposer sur un sentiment de frustration et d'engendrer des interrogations. La philosophie ne repose-t-elle pas sur un nombre incalculable d'hypothèses sans être en mesure de donner la moindre réponse ? Roy pourrait, d'une certaine manière, s'apparenter à un intermédiaire (un demi-dieu ?) situé entre l'homme rattaché à son foyer bercé par sa petite existence et le créateur omniscient/omnipotent. Le voyage est celui de la recherche et du questionnement. Derrière le projet Lima se cache en réalité le fantasme de nos origines. Qui est le père pour Roy ? Qui est le père pour Clifford ? Le premier tente de renouer des liens concrets avec son géniteur, le second de découvrir une parcelle de vie qui lui permettrait d'embrasser le savoir et pourquoi pas d'entrer en contact avec " LE Père".


Les deux buts sont en réalité identiques mais à une échelle différente obligeant la friction de l'abstrait et du concret avec en bout de course l'inévitable frustration. Clifford McBride s'impose comme le second protagoniste après Percy Fawcett de Lost City of Z écrit par James Gray ayant assuré égoïstement sa passion au détriment de ses obligations. Une action vouée à l'oubli de ses supérieurs et au triste souvenir de ses descendants.

Star-Lord09
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le 8 déc. 2022

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