« ça prouve qu’on ne peut jamais vraiment savoir ce qui se passe »

Avec A Serious Man, Les frères Cohen signent une comédie noire décapante à l’humour juif. Larry Gopnki est un professeur universitaire de physique bien rangé. Mais tout à coup sa vie bascule, les épreuves s’accumulent. Face à tout cela, il baisse la tête, rentre les épaules, se laisse marcher sur les pieds au point de se laisser diriger par sa femme qui réclame le divorce et l’envoie dormir dans un motel et par son ami Sy qui lui enlève sa femme mais lui parle avec affection, l’étouffant dans ses bras avec paternalisme ! Contrairement à leur film précédent : Burn After Reading, les frères Cohen n’ont pas fait appel ici à des acteurs connus. Cela renforce le processus d’identification au personnage. Larry est un brave type comme on en rencontre tous les jours dans la rue !


Face à l’avalanche de tuiles qui lui tombent dessus, Larry ouvre les yeux sur sa vie et découvre ce qu’il n’avait pas encore vu jusque là. Le réveil est terrible et il cherche avec angoisse des réponses à ses questions. C’est la facette la plus substantielle du film car les questions qu’il se pose sont authentiques. Elles peuvent monter à la conscience de n’importe qui surtout quand la vie devient difficile. Face à la souffrance l’homme cherche à trouver un sens, une parole, une réponse qui l’aide à traverser la situation et qui le sorte du sentiment d’absurdité qu’il éprouve. Larry se tourne donc vers des rabbins différents, il ne trouve auprès d’eux aucun secours, aucune réponse adaptée mais également aucune empathie particulière. Les frères Cohen dressent là un portrait peu reluisant des chefs religieux de la communauté juive…
Le sommet de ces rencontres est celle qui a lieu avec le « second rabbin » qui sirote tranquillement son thé pendant que Larry expose son calvaire ! Le rabbin lui raconte alors tout une histoire sur un dentiste juif qui a découvert un message gravé dans les dents d’un goy (non juif). Larry se raccroche à cette histoire dans l’espoir de trouver un sens à ce qu’il vit mais cela n’aboutit à rien !




  • Ces questions qui vous tracassent Larry sont peut-être comme une rage de dents. On la sent quelque temps puis ça s’en va.

  • je ne veux pas que ça s’en aille ! Je veux une réponse !



Fabuleuse réplique de Larry qui, s’il est extérieurement faible, est par contre particulièrement fort dans sa recherche de sens ! Ce dialogue avec le second rabbin est particulièrement important. Larry ne souffre pas en premier lieu des épreuves qui lui tombent dessus mais de l’impossibilité d’y trouver une parole.


Alors que le jour il se bat avec des problèmes qui s’accumulent, la nuit il se bat avec ses cauchemars qui condensent les éléments de son vécu actuel… Son sentiment identitaire finit par être fragilisé, il se raccroche à ce qui le rassure sur lui-même : « je suis un homme sérieux », une expression qui désigne une personne respectable dans la communauté juive mais une bien fragile bouée pour traverser l’existence et ses tornades !
Ce qu’il vit est particulièrement bien résumé dans l’un de ces rêves : face à un gigantesque tableau noir, il a gribouillé la surface de formules de calcul compliquées et il se tourne alors triomphalement vers ses étudiants pour leur dire : « ça prouve qu’on ne peut jamais vraiment savoir ce qui se passe ». A Serious man, c’est cela : un film sur l’incertitude, sur le sentiment d’impuissance face aux événements négatifs et difficiles qui se succèdent et s’accumulent parfois, sur le besoin de sens et la difficulté à en trouver. Une comédie noire existentielle particulièrement réussie, dont la fin peut être déstabilisante mais qui résume très bien le message du film si on le comprend bien…

abscondita
8

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le 2 oct. 2022

Critique lue 71 fois

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abscondita

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