Figure discrète mais respectée du cinéma ibérique moderne, Fernando León de Aranoa s’est souvent intéressé au quotidien tortueux d’identités en marge de la société, comme des chômeurs ou des immigrés. D’une certaine façon, le cinéaste espagnol réalise du cinéma social – loin pourtant du carcan des Dardenne et autres Cantet, sa vision de l’objet politique est plus légère, conservant pourtant une approche fondamentalement émotionnelle de l’action et de ses personnages.


Première de ses œuvres tournée en langue anglaise, A Perfect Day suit un groupe de travailleurs humanitaires pendant la guerre yougoslave. De cette amorce simple, Aranoa développe des enjeux tout aussi primitifs – son MacGuffin, c’est une corde ; son moteur affectif, un ballon de foot ; son antagoniste principal, le corps d'une vache morte. Il y a, dans la démarche du metteur en scène, un amour du tangible, fait d’interrogations palpables et de résolutions tristement réalistes. De ce fait, les personnages sonnent justes – si leurs motivations comme leurs histoires sont souvent laissées à l’interprétation du spectateur, l’équilibre trouvé par le réalisateur entre ce qui relève du narratif (les dialogues bien pensés, l’émotion) et ce qui relève de la peinture quasi-documentariste d’un microcosme singulier est quant à lui absolument parfait.
Car avant de livrer le film à l’épreuve de l’analyse, il faut dire une chose : A Perfect Day est drôle. Très drôle, même. Un humour pince-sans-rire presque coenien, dans la manière où il se complémente à la fois avec la tragédie et avec le pamphlet sociétal diffusé en filigrane. Aranoa passe d’un sentiment à l’autre, de la gravité à la légèreté – comme si, à la manière de ses personnages, il posait un regard plein de sarcasmes sur l’absurdité du cours des événements. On est pourtant loin de tout cynisme, A Perfect Day est un métrage passionné, au dessein presque dérisoire. L’occasion de saluer la qualité incroyable de l’écriture – qu’il s’agisse des dialogues ou des ramifications plus subtiles cachées derrière l’illusion de sobriété du scénario, A Perfect Day, en plus d’être parfaitement illustré par son metteur en scène, devrait être un modèle pour tout scénariste.
Avec douceur et finesse, Aranoa finit par frapper fort. Habitués au ton parfois folâtre de l’intrigue, on finit par oublier la terrible réalité, qui revient vers nous par petites touches délicates mais dévastatrices. C’est dans ce mariage parfait des tons que A Perfect Day excelle, camouflant une violence invisible derrière ce masque plaisantant plus complexe qu’on ne voudrait le penser.


Le dernier film d’Aranoa est vêtu d’un habit sobre. De loin, à travers une bande-annonce ou si on le visionne passivement, on pourrait ne rien lui trouver de véritablement original – mais c’est justement parce que A Perfect Day fait de sa frugalité un art : son charme se trouve dans son appétit des choses simples. Parfaitement écrit, brillement interprété, d’une intelligence rare et d’une bouleversante justesse, c’est un petit monument d’une rare élégance, malin et pertinent. À ne pas manquer.

Vivienn
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le 20 mars 2016

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Vivienn

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