Pour commencer son film par le travelling d'un homme accomplissant son rituel matinal du jogging, baigné par la musique même que diffuse son casque dans ses oreilles, il faut être sûr de son coup. Il n'y a peut-être pas pire entrée en matière. Ou disons pas moins originale. Beaucoup d'autres l'ont fait. J.C. parviendra-t-il à sortir du lot? Évidemment que oui, regardez la note.

J.C. Chandor c'est pour l'instant trois films, trois univers différents, trois réussites, dont deux grands films, et surtout une éternelle déclinaison de ce bon vieux mythe du rêve américain. Son père était trader, il en a eu un certain aperçu. Dans son premier film il nous révélait la face cachée du roi dollar et les dessous de la crise immobilière puis financière de 2008. Dans son second, derrière ses allures de paraboles bibliques, il faisait l'étalage des moyens qu'un homme seul doit déployer pour survivre en enfer. Dans A most violent year, il nous montre comment Tony Montana aurait sauvé son affaire s'il avait arpenté les chemins de la légalité plutôt que de se laisser dériver au grès des courants dans les méandres de la folie. Qu'il ait "casté" Isaac pour en faire son immigré en pleine ascension sociale et professionnelle n'est pas un hasard. Son physique renvoie directement à celui du Pacino des années 70, quand il incarnait alors un pan entier de la mafia made in USA. Dans Scarface évidemment, et peut-être plus encore dans les deux premiers Parrain où son personnage de Michael Corleone essayait déjà d'éviter, ou du moins de retarder au maximum, son entrée dans les affaires mafieuses de la famille.

Car c'est bel et bien la leçon du film. Toute droite et naïve que soit la ligne de conduite, la connivence avec ledit milieu mafieux n'est qu'une question de temps. La réussite a son prix. Et si les grands discours dont il abreuve son jeune auditoire l'empêchent de se salir les mains, ils n'empêchent pas les autres de plonger les leurs dans le cambouis pour lui et de les ressortir, parfois, écarlates. Comme son avocat, ripoux avéré et assumé, jamais avare de bons conseils ou sa plantureuse femme, plus enclin que lui à payer la rançon du succès : ce sont ses magouilles de comptable qui lui permettront de franchir le stade supérieur et ses doigts qui presseront par trois fois la gâchette qui enverra autant de balles se loger entre les bois du pauvre cerf à l'agonie.

Elle est belle la lumière rasante du matin qui balaie les buildings de la Grande Pomme. Cinéaste symboliste Chandor? Il a toujours été. Ses films reposent en grande partie sur sa faculté à faire exister les enjeux en dehors des enjeux eux-mêmes. Comme si l'important était ailleurs. L'impression également que se dessine, au grè de ses trois superbes long-métrages, une forte identité de cinéaste et une recherche des limites du modèle américain du self-made-man et de inénarrable "american dream". Son constat, du haut de ses trois films, ferait pâlir l'oncle Sam : la clef du succès est d'être le premier (à balancer ses actifs toxiques), d'être plus fort que la nature (comprenez plus fort que les éléments) et d'avoir, à défaut de gants suffisamment étanche, des proches pour mouiller le maillot et se salir les mains.

Pour commencer son film par le travelling d'un homme accomplissant son rituel matinal du jogging, baigné par la musique même que diffuse son casque dans ses oreilles, il faut être sûr de son coup. Il n'y a peut-être pas pire entrée en matière. Ou disons pas moins originale. Beaucoup d'autres l'ont fait. J.C. parviendra-t-il à sortir du lot? Évidemment que oui. Pour terminer son film sur le plan hautement symbolique de son héros, Abel, colmatant la brèche qui faisait se mélanger dans la neige le sang du pauvre chauffeur avec son précieux or noir, il faut être un sacré grand cinéaste.
blig
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le 25 janv. 2015

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blig

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