Quand on est Terrence Malick, on fait ce qu’on veut. On dit ce qu’on veut, aussi, d’autant plus qu’il n’a pas à assumer une promo à chaque film pour expliciter son propos. Ses films sont à prendre ou à laisser.
To the wonder pousse un peu plus loin l’atomisation du récit en laissant libre cours à l’esthétisation panthéiste. Voix off, marche et danses féminines dans les champs, les allées de supermarchés, couchés de soleil, et toujours cette façon assez unique de filmer en poursuite oblique sur les personnages ou en contre plongée sur les décors pour magnifier les arbres ou les façades d’églises.
Malick a un style, une indéniable virtuosité de laquelle sourd l’atmosphère si singulière de ses films : les couples y semblent les premiers du monde, le regard accorde autant d’émerveillement au monde extérieur que d’attention aux voix intimes.
Comme toujours chez lui, des images s’imposent, vraiment sublime : la montée des eaux sur la baie du Mont St Michel, les intérieurs de la maison, notamment dans deux plans grandioses qui permettent de voir le couple dans deux espaces différents : en haut et en bas d’un escalier, ou séparés par deux cloisons. Inutile d’en surajouter dans l’explicitation sur l’incommunicabilité du couple.
Ceci étant, au reproche un peu facile qu’on pourrait lui faire de s’autociter en permanence et de se regarder filmer, on peut ajouter celui plus conséquent de l’artificialité de l’ensemble. Là où la magie fonctionnait dans Days of Heaven, The Thin Red Line ou Tree of Life, la distance se maintient ici, voire, plus grave, s’accroit du fait d’un formalisme un peu creux. Même la musique, pourtant une composante essentielle du lyrisme chez Malick, subit une cure de platitude. Dans son choix, (Pärt et Gorecki, pourtant de très beaux morceaux, mais qui font tout de même très "Le best of de la musique contemporaine pour les nuls"), dans son traitement, elle alourdit davantage qu'elle ne provoque les envolées qu'on appréciait dans The Thin Red Line, voire dans Tree of Life où une purge pour vielles comme La Moldau parvenait à être magnifiée.
Le traitement fait au personnage de Ben Affleck est symptomatique : doté d’environ trois répliques sur l’ensemble du film, souvent de dos, ou le visage tronqué, furtif, il n’est qu’une présence fantomatique. On le pose, on lui octroie une brune, puis une blonde, puis on fait revenir la brune. Ces interminables scènes de couple, enliassés, marchant dans les champs, dansant, avec des chevaux, puis des bisons, à la piscine, etc, etc, tournent rapidement à vide. En tant que spectateur, je me suis senti à l’égal d’Affleck. Je ne vois pas des scènes d’amour, mais des séquences de tournage avec les instructions données aux comédiens, comme celles d’un photographe de mode à son mannequin : tourne-toi, regarde l’objectif, danse, éclate de rire, voilà comme ça c’est bon. Assez absents, dociles, les acteurs ne laissent plus échapper grand-chose, à l’immense différence de ceux de Tree of Life.
Il semblerait que la douleur et le mal manquent à ces protagonistes : elle galvanisait ceux des films précédents, que ce soit la guerre, le travail ou la violence familiale.
Un pan mineur (dans sa durée) du film nous dit clairement que Malick a encore des choses à écrire ; c’est le personnage de Bardem en prêtre en crise de foi. Assez discret, d’une belle intensité, ses parties sont vraiment réussies et jouent du regard des autres pour dire sa détresse mutique : le berger sans étoile, notamment dans les taudis des villes américaines, aurait pu faire un récit bien plus substantiel.
Finalement, 20 ans d’attente entre deux films, c’était peut-être pas si excessif que ça.
Sergent_Pepper
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le 2 sept. 2013

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Sergent_Pepper

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