Je ne me souvenais plus que ce n'était qu'en début d'année 2002 que j'avais fait connaissance avec un certain François Ozon. Et que j'étais tombé amoureux.


De ses 8 Femmes tour à tour amoureuses, venimeuses, enjôleuses, vicieuses.


Sous la caméra du réalisateur, qui les caresse, qui les flatte, qui les montre toujours à leur avantage, elles évoluent comme évolue ce premier (semi) succès critique, mais surtout public.


8 Femmes part comme une sorte de théâtre filmé plat et un peu plan plan. De manière caricaturale, naïve et quelque peu désuète et kitch, comme peuvent l'être les années 50 qui servent d'environnement à ce qui se dessinera rapidement comme un huis-clos en mode Cluedo ou Agatha Christie. Les dialogues sont d'abord légers, frôlant le nunuche. Mais les fleurs qui se sont ouvertes lors du générique, rappelant Cukor, se fanent bien vite, dans un jeu de faux-semblants qui monte doucement en puissance. Les rivalités, elles, s'exacerbent comme le texte, qui distillait jusqu'ici l'ironie que par petites touches, le temps d'une réplique, d'un sous-entendu.


Dans des dialogues de plus en plus vachards et directs dans leur cruauté, les masques tombent, les secrets parfois sordides sortent des placards, à l'inverse du corps de Marcel, maître presque invisible des lieux et de sa cour, enfermé dans sa chambre, un couteau dans le dos. Les allures de comédie cèdent la place au drame, le drolatique au tragique. Ozon fait avancer son film sur deux jambes : en confrontant toujours deux de ses personnages dont l'affrontement fera naître quelque chose d'inattendu, une révélation, un tabou qui sera mis en lumière dans des années 50 encore engoncées dans les carcans de la bonne morale et du quand dira-t-on.


8 Femmes est aussi un film dual dans le sens où s'il s'agit d'une enquête policière, menée par la cadette fervente lectrice de romans policiers, Ozon le subvertit de tout le drame que ses personnages subissent ou dont ils sont à l'origine, ainsi que de tous les clichés de la figure féminine pour s'en jouer de manière ludique, parfois drôle, parfois mordante, parfois étonnamment grave quand l'attirance, dans une scène pivot entre Firmine et Fanny, se trouve rejetée et niée.


Amour, lutte des classes, classes d'âges, tabous, rivalités, fiel, Ozon s'empare de tout cela avec gourmandise, comme il dirige ses femmes qui prennent visiblement un plaisir non feint à jouer pour lui, jusque dans des numéros, dignes d'une comédie musicale, libérateurs ou, à l'inverse, d'une tristesse désarmante.


Le cinéma de François Ozon est viscéral dans son approche. Déjà, à l'occasion de 8 Femmes, les pseudos critiques masturbatoires et autres féministes aveuglé(e)s avaient hurlé aux clichés misogynes sans rien comprendre à la manière dont Ozon les utilisait. 8 Femmes, à l'inverse, s'envisageait de manière bien plus évidente comme un doux poison, dont chacun des ingrédients recèle les tourments et autres angoisses féminines, une déclaration d'amour au cinéma dans ce qu'il a de pluriel et qu'Ozon vénère à l'évidence.


A la fin de cette fable tragique, où les sentiments sont malmenés, dévoyés, pernicieux, Danielle Darrieux aura le dernier mot, dans les larmes, dans un numéro musical qui tombe sous le sens au vu de l'issue du film qui a mis à nu l'ensemble de ses femmes : Il n'y a pas d'amour heureux...


Une conclusion logique, au bout du compte.


Behind_the_Mask, quand il y en a une, ça va, c'est quand il y en a beaucoup qu'il y a des problèmes...

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le 30 déc. 2017

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