Martin McDonagh avait démarré sa carrière sur les chapeaux de roues avec son In Bruges, une comédie noire remarquable qui avait très vite gagné un statut culte. Son deuxième film, Seven Psychopaths, c'était alors montré moins mémorable car malgré certaines qualités était un peu trop sûr de ses effets. C'est donc 5 ans après que l'on retrouve le cinéaste irlandais qui semble revigorer après un temps de remise en question nécessaire. Son Three Billboards Outside Ebbing, Missouri s'est très bien distingué lors des Golden Globes en remportant celui du meilleur film dramatique, du meilleur scénario et de la meilleure actrice ainsi que le meilleur second rôle masculin dans un drame. Un joli quadruplé suivi d'avis dithyrambiques, le nouveau long métrage de Martin McDonagh arrive sur nos écrans en suscitant toute sorte d'attentes.


Le cinéaste s'est imposé depuis ses débuts comme un scénariste hors pair avec ses dialogues ciselés, son humour noir si spécifique et son amour des personnalités over the top et de la rupture de ton. Mais jamais il n'avait atteint un tel niveau que celui qu'il démontre dans ce Three Billboards Outside Ebbing, Missouri, où il raconte une histoire d'une rare intensité et il dépeint un groupe de personnages saisissants d'humanité. A travers le deuil de cette mère qui cherche à trouver des réponses sur le viol et le meurtre de sa fille, McDonagh dresse un portrait empli de finesse d'une Amérique boursouflée par la violence et le doute qui perd doucement mais sûrement l'étoffe de ses convictions. Un pays qui ne sait plus qui il est ou ce qu'il est supposé être et qui se réfugie dans l'extrémité de ses actes et de sa haine pour se prouver qu'il peut encore exister. C'est la peur de s'évanouir et de perdre ce qui les définissent qui poussent les personnages dans leur retranchement et jamais McDonagh a le mauvais goût de les juger ou de les prendre de haut. Il y a beaucoup d'empathie pour eux, dans leurs bons comme leurs mauvais côtés notamment pour les deux paumés centraux au récit. D'un côté cette mère borderline qui cherche à perpétuer une forme de justice sauvage et de l'autre un policier raciste et violent qui tente de trouver un moyen de s'affirmer et de s'émanciper par la force.


Certains auront sans doute un problème avec l'absence de moralité, surtout dans une époque où elle fait de plus en plus valoir ses droits, mais ici cela renforce justement le message volontairement ambigu sur le devoir moral et la conscience humaine. Le film vient poser les questions difficiles et avec une ferveur implacable qui laisse souvent admiratif. Il le fait avec une telle malice que ce soit dans ses dialogues souvent brillants ou sa manière de jouer des situations comme il s'amuse à nous faire rire d'une situation dramatique avant de nous renvoyer en pleine face l'étendu abyssal de la tristesse de ses personnages au sein d'une même scène voire d'un même plan. Ces ruptures de tons sont souvent mémorables et marquent véritablement le propos du film, car le récit sert aussi bien un propos métaphorique. C'est à travers le choc que les hommes sont marqués et qu'ils s'interrogent, la violence d'un acte, la force évocatrice des mots ou la réponse sous forme de loi du Talion, tout est passé au crible pour montrer que c'est la douleur que l'on inflige à nous et aux autres qui parfois nous pousse à grandir. Que la cruauté humaine est dénué de fondements mais peut aussi être ce qui nous fait nous questionner, qu'il faut parfois y être confronté pour faire ressortir ce qu'il y a de bon en nous.


La décence représentée par le chef de la police, magistralement incarné par un Woody Harrelson tout en retenue, est impuissante, malade et c'est sa mort inévitable qui s'apparente pour les autres comme un cri d'alarme. La ville fictive dépeinte par Martin McDonagh s'impose comme un purgatoire d'âmes en peine qui cherche une rédemption inaccessible là où la violence entraîne la violence. C'est autant une réflexion sur les mots et les actes à laquelle on assiste dans ce parcours extrêmement poignant de deux individus rongé par la vie et qui abouti à un final parfait qui résume à merveille toute l'irrévérence et l’ambiguïté du genre humain qui s'émancipe de tout manichéisme ou impératif moral. Surtout que l'ensemble est habité par un casting phénoménal, Frances McDormand en tête qui signe son meilleur rôle depuis Fargo. Elle est d'une justesse vertigineuse dans sa façon de dépeindre la détresse de cette mère désemparée par le chagrin et la colère et mérite amplement un Oscar. Il en est de même pour Sam Rockwell qui est sans aucun doute dans le rôle de sa carrière et qui excelle dans ce personnage qui oscille entre imbécillité mesquine et candeur terriblement touchante. Malgré ses aspects les plus détestables, l'acteur le joue avec une telle finesse que l'on ne peut qu'être bourré d'empathie envers lui.


Three Billboards Outside Ebbing, Missouri est une claque de cinéma. Une oeuvre qui assoit définitivement Martin McDonagh comme un cinéaste qui compte avec son brillant savoir-faire scénaristique. Dense, nuancée et maîtrisée de bout en bout, son écriture touche tout autant qu'elle fait rire dans un récit d'une puissance et d'une humanité rare. McDonagh s'impose aussi comme un habile metteur en scène en signant une réalisation efficace et sobre, où sans trop en faire accompagne à merveille son histoire, sait la magnifier sans jamais prendre le pas sur elle et joue brillamment des ruptures de tons entre drame et comédie. Il laisse aussi la place à ses acteurs de donner le meilleur d'eux-mêmes, surtout les formidables Frances McDormand et Sam Rockwell, tout en signant le film de ce début d'année. Three Bilboards Outside Ebbing, Missouri est de ces œuvres qu'on n'oublient pas et nous travaillent durablement en ce rendant compte qu'on n'a rien à leur reprocher. Peut-être aurait-il pu écourter sa conclusion, pourtant très belle mais qui tire en longueurs, mais c'est chipoter face à ce qui est un grand film.

Frédéric_Perrinot
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le 20 janv. 2018

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