""" Je me croyais prête.

J’avais 10 ans lorsque la Grande Maladie fut officiellement déclarée danger mondial après d’incessantes rumeurs de villages dévastés en Asie de l’Est. Ce jour-là, mes parents prirent la décision de tout faire pour protéger leurs enfants.
Pendant 5 ans, à mesures que le virus se répandait dans toute l’Asie, puis l’Europe, l’Afrique et traversait l’Atlantique jusqu’au Mexique pour frapper le continent américain entier, je fus donc, comme de nombreux autres enfants dont mon petit frère, soumise à des entraînements intensifs. Autour de moi le monde s’effondrait, les Gouvernements tombaient les uns après les autres, et moi j’apprenais le maniement des armes, la survie en milieu hostile, la psychologie de groupe. Nuit et jour la fumée des corps brûlés assombrissait le ciel de Paris, une des dernières capitales européennes encore debout grâce à son réseau souterrain de catacombes et de tunnels de métro. J’avais lu World War Z cependant, et je savais qu’en une minute ces « refuges » pouvaient se transformer en pièges mortels.
Mais rien ne pouvais me préparer à l’horreur. Le jour où les barricades de la Petite Ceinture tombèrent, les tunnels furent bels et bien les tombeaux de plusieurs millions de personnes, y compris mes parents. Ce jour-là, mon frère et moi nous entraînions dans un hangar militaire à démonter et remonter nos Ruger mini 30 le plus vite possible, lorsque le chef de la Milice locale déboula. Sans un mot, il alluma la radio sur l’unique station qui émettait encore. Je compris immédiatement ce qui se passait : la radio crépitait sourdement ; et de temps à autre, on arrivait à capter des hurlements.
Je sus alors que je ne pourrais faire face comme je l’avais cru. Alors que mes camarades se ruaient vers les armes, je restais plantée là en état de choc, tant et si bien qu’un grand gaillard m’arracha mon fusil semi-automatique des mains sans que je réagisse. Lorsque j’arrivais devant l’entrée du tunnel menant à mon campement, une masse compacte de morts-vivants tentait de forcer les portes de métal que quatre miliciens tentaient désespérément de refermer. Certains de ces zombies étaient revigorés par leur festin, d’autres semblaient… récents. Et lorsque les portes cédèrent et que le flot se déversa, je reconnus mes parents parmi eux.
Quelque chose se brisa alors en moi. Mais cela ne me rendit pas plus forte pour autant, bien au contraire. J’étais si faible sans eux. Tout ce qu’il me restait c’était mon frère. Avec un groupe de survivants, je quittais précipitamment la ville dans les heures qui suivirent, en passant par les égouts. Nombreux furent ceux qui furent happés dans l’eau stagnante par une main pourrie, ou mordus aux chevilles par un zombie qui flottait sous la surface de l’eau. Ils seraient encore nombreux à succomber par la suite.
Paris était tombée, le pays était perdu. Seuls me paraissaient un tant soit peu sûr les pays du Nord avec leur climat qui ralentissait les zombies, et les Etats-Unis où l’Armée avait pris le pouvoir et garantissait encore de larges zones sécurisées. C’est dans ce dernier pays que nous nous rendirent, en empruntant ce qui serait, je le sus plus tard, le dernier bateau à quitter le port de Calais. Je payais le voyage avec les économies de toute une vie : de précieux stock de médicaments achetés en prévision. Nous passâmes devant les côtes de l’Angleterre à feu et à sang, et, en évitant les épaves grouillantes de zombies, arrivèrent en Caroline du Nord 3 longs mois après. Sans même espérer de l’aide, nous pensions trouver un minimum d’ordre. Seul le chaos nous accueillis. Car quelques semaines après notre départ, les USA aussi étaient tombés.

Depuis lors, sur cette maudite terre, à chaque seconde, je n’ai cessée d’avoir peur pour moi et surtout pour mon frère. Il est la seule autre personne à laquelle j’accorde de l’importance en dehors de moi-même. Car j’ai appris à ne plus m’attacher à mes compagnons de voyage éphémères, qui nous trahiraient en un instant pour une ration de pain s’ils ne mouraient pas encore plus vite qu’ils ne trahissent.
J’ai maintenant sur moi un pistolet 9 millimètres que je tiens de Leïla, une de mes amies n’ayant pas survécu au massacre de Paris, un calibre 22 trouvé sur le cadavre d’un red neck quelconque, un colt pris dans une armurerie abandonnée du Tennessee, deux couteaux et une machette affutée. Quant au reste, je m’en tiens au strict minimum ; de l’eau, de la nourriture, quelques gamelles, des fringues, un briquet. Et une photo. Une seule. Celle de ma famille, à Noël : mon père et ma mère, et mêmes mes grands-parents, vivants, mon petit frère, heureux. Et une fille qui sourit : l’ancien moi.
Mon entraînement et mes connaissances n’ont pas autant contribué à notre survie que la chance elle-même. Parce que je me suis décalée de quelques centimètres avant qu’un zombie ne surgisse et n’agrippe le vide que je venais de laisser. Parce que mon frère était parti chercher du bois quand sa tente a pris feu accidentellement, brûlant vives trois personnes. Parce que nous avions par hasard nos machettes à la main lorsque Joe avait perdu la tête et commencé à tirer sur tout le monde.

Un jour, dans une maison que nous pillions, j’ai trouvé un vieux mange-disque à pile.
Il était posé là, sur une commode, sous une épaisse couche de poussière, à côté d’un carton plein de 45 tours. Dans le tiroir, les piles. Poussée par un sentiment étrange, je me laissais alors aller à « l’inutile » et allumait l’appareil. Mon bon sens habituel m’avait visiblement quitté. Quel était l’intérêt pratique ? il n’y en avait aucun. Est-ce que cela pouvait potentiellement nous mettre en danger ? oui, il y avait toujours le risque que des zombies soit attirés par le bruit.
Mais voilà, cela faisait des années que je n’avais pas écouté de musique autre que celle des balles. Si, une fois Joe avait bien joué une ballade à la guitare et Ava avait chanté pour l’accompagner ; mais Joe et Ava étaient morts.
Soudain, mon cœur fit un bond dans ma poitrine. Là, un des disques. C’était Hunky Dory, de David Bowie. J’insérais le vinyle dans le mange-disque. Je réglais immédiatement sur la chanson 4, par réflexe.
https://www.youtube.com/watch?v=v--IqqusnNQ
Lorsque les premières notes retentirent, je faillis perdre pied. Le reste se déroula dans un brouillard de larmes. Certaines phrases se répercutaient violemment dans mon esprit.
“But the film is a saddening bore
'Cause she's lived it ten times or more”
Je me pliais en deux. Oui, j’avais trop vécu cet enfer de vie.
“It's the freakiest show”
C’était grotesque, oui! Je n’étais pas cette survivante insensible, j’étais encore au fond cette fille qui… [les notes finales]
… “Is there life on Mars?”

J’attrapais le mange-disque et le jetais violement au sol. Il explosa et les pièces roulèrent sur la moquette.
Jamais plus par la suite je ne laissais mes souvenirs m’envahir.
A quoi bon être soi-même, si c’était pour mourir ? """"

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le 22 janv. 2015

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Lucie L.

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