2046
7.3
2046

Film de Wong Kar-Wai (2004)

Wong Kar Wai reprend là où il s’en était arrêté avec In the mood for love. Comme si cette œuvre continuait à le hanter. 2046 s’apparente à une suite sans en être réellement une ; où réapparaît le personnage de Mr Chow dans un petit hôtel de Hong Kong dans le début des années 1960, joué par l’énigmatique et excellent Tony Leung, commençant l’écriture d’un roman de science-fiction dénommé 2046, dont le chiffre dénombre de nombreuses signification à ses yeux comme un numéro de chambre où périt l’un de ses grands amours ou un train imaginaire dont il est difficile de se détacher. Son livre sera fortement inspiré de sa vie, des femmes qui croisent son passage, de l’imagination et de l’émotion qui le consument.


La vie de Mr Chow est comme une danse changeant de rythme et d’amplitude au gré des femmes qu’il rencontre où chaque pas prend un sens différent. Mais il y a des choses qu’il garde pour lui, qu’il ne peut pas emprunter, l’éloignant d’un possible amour ou l’enfonçant vers une vie solitaire de débauche irrévérencieuse. 2046 est un film dans la pure lignée de son esthète au style impérial. Wong Kar Wai épie la grâce et les désordres humains par le bout de la lorgnette, par le trou d’une serrure ou l’enchevêtrement d’une porte regardant défiler des vies à la confusion amoureuse délicate. Le réalisateur pousse son sens graphique dans ses derniers retranchements débordant vers une obsession maladive maniériste. 2046 peut se voir ou se lire comme un ensemble de nouvelles faisant éclore l’intimité de relations passant dans la vie de cet écrivain « solitaire » comme des étoiles filantes. Le récit fait se succéder les rencontres où se chevauchent les temporalités et les perceptions (réalité et science-fiction) pour gagner sans cesse en émotion.


Tout ce qui fait le charme d’In the mood for love éclabousse à nouveaux l’atmosphère de cette œuvre faste, avec cet esthétisme ultra stylisé 60’s, ce dandysme vestimentaire et cette musique classieuse omniprésente où se confondent l’étroitesse des couloirs aux couleurs nébuleuses d’un petit hôtel de quartier, le claquement des portes qui renferme des désillusions inavouées, des dialogues capter en plein vol dont les murmures cachent des souvenirs enfouis à jamais dans l’esprit écarquillés d’individus inconnus. Wong Kar Wai, est un fétichiste du corps et de sa gestuelle, travaille son cadre et son montage maladivement, il photographie en instantanée le moindre détail, scrute le moindre habit faisant remémorer un souvenir féminin (gant, chaussure), découpe plan par plan le moindre mouvement ou battement de cils comme si chaque lieu avait sa propre identité et ses souvenirs immuables. Mais 2046 est la version sombre et débridée d’In the mood for love comme si le spleen vertigineux et le mal être sibyllin des anges déchus ou de Nos années sauvages avaient envahi le décorum de ce long métrage aux multiples facettes.


Est révolu le temps des regards timides, de la culpabilité sensuelle, de ce désir refoulé à s’en rendre malade. 2046 fait souffler un vent de liberté lugubre et douceâtre par la voie de cris jouissants de plaisir notamment à travers cette relation qu’il entretient un temps avec une jeune prostituée (somptueuse Zhang Ziyi) qui aura le malheur de tomber amoureuse de lui. Les sentiments ne sont plus fantasmés et supposés mais sont littéralement dévoilés et vécus. Mais ça ne sera jamais réciproque. Comme un miroir, 2046 reflète les ombres comme pour en garder un souvenir intemporel à l’image de cette répétition de chaque être déambulant sur le toit de l’hôtel pour marquer au fer rouge leur passage. 2046 est la chronique magnifique, feutrée, des relations d’un homme avec les femmes faisant naître en lui une palette de sensations différentes, structurant l’homme et l’écrivain qu’il est.

Velvetman
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le 2 juin 2016

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Velvetman

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