2046
7.3
2046

Film de Wong Kar-Wai (2004)

Avez-vous déjà souhaité récupérer tellement un souvenir, vous poussant à fond pour essayer de le récupérer au plus profond de vous-même, pour être confronté à la vérité déchirante que certaines choses peuvent avoir disparu à jamais, perdues en tant que victimes du temps ?


Quand nous perdons des choses dans notre vie, tout ce que nous souhaitons, c'est de les récupérer. Quelle est la raison ? Sommes-nous simplement attachés à un passé, celui qui nous a attiré et nous protège dans toute sa sécurité, malgré la sévérité de ses effets sur nos esprits ? Certaines choses doivent être oubliées, elles doivent être ignorées, tout cela pour que nous puissions continuer notre vie, pour nous permettre de faire face à ce qu’on nous proposera dans le futur.
Et pourtant nous recherchons insatiablement notre passé. N'est-ce pas là un mécanisme enfoui en nous, qui nous permet de rechercher la sécurité dans le connu et d'éviter l'inconnu ?


2046 est cela, c’est ce souvenir perdu qu’on aimerait tant retrouver, qui nous fait tant souffrir.
C'est Wong Kar-wai à son sommet en matière d’extravagance, réalisant un film qui ressemble à l'aboutissement de tout son travail antérieur. Il faut la romance de In the Mood for Love et les éléments playboy de Nos années sauvages pour créer quelque chose de nouveau, tout en reliant les trois films ensemble dans la même continuité. Pourtant, contrairement aux deux autres, 2046 est une histoire fantastique. C'est une lettre d'amour à la science-fiction, présentant l'écriture comme un moyen de faire face à la vie. Tout ici est abstrait et non linéaire. Il y a tant de brins, que les fragments d'un récit fracturé nous sont présentés. Il n'y a pas de simplicité, juste des histoires qui se chevauchent et se répètent à l'infini.


Dans la continuité d’In the Mood for Love, 2046 présente le personnage de Tony Leung comme un homme qui sera blessé pour le reste de sa vie. Il souffre d'un manque d'amour pour avoir tout donné. Maintenant, il devient un homme qui rejette l'amour. Nous sommes de retour à l'état d'esprit de Nos années sauvages, mais c'est maintenant un post-amour plutôt que l'histoire de quelqu'un qui n'a pas encore été aimé. Contrairement à In the Mood for Love, ce film est bestial. Il arrive au physique, car toutes les autres formes d'amour ont disparu. Même la jalousie vient ici des gémissements entendus à travers un mur, par opposition aux regards pudiques d’In the Mood for Love.


2046 adopte une nouvelle douleur par rapport à ses anciens films. C'est une douleur délibérée, infligée par choix et non par circonstance. Les sentiments des autres sont hors de votre contrôle, leur douleur leur appartient et votre douleur vous appartient. 2046 n'est plus une douleur partagée, c'est un film sur le fait de refouler sa propre douleur et d'ignorer la douleur des autres. L'égoïsme s'élève au nom de l'amour, et l'amour meurt à cause de cela.


En tant qu'œuvre cinématographique, 2046 est le film le plus dispersé et le plus visuellement dense de Wong Kar-wai. Il y a tellement de variations dans le style, dans les schémas de couleurs et dans les choix de prises de vue. Les personnages se répètent, ramenés de films précédents, ou partageant des noms, ou dupliqués à travers l'histoire et l'histoire dans l'histoire. C'est fait de façon élégante, capturant les nombreuses facettes de l'amour de tant de façons différentes. Zhang Zi-Yi est l'interprète hors pair, dans un rôle qui devient le cœur du film et la partie la plus émotionnellement dévastatrice de celui-ci. 2046 est douloureusement triste, bien que présenté avec un air confiant, comme si une telle tristesse était un moyen de faire face au monde. En tant que film, il ne va peut-être nulle part, devenant un épilogue sans but à d'autres œuvres, rempli d'idées non structurées. Pourtant, il est parfaitement non concluant, car l'amour et la tristesse n'ont pas de réponse unique…


2046 montre tout le savoir-faire que son réalisateur a acquis au fil des ans, qui même s'il n’atteint pas le niveau de Les Anges Déchus ou de Chunking Express, il laisse une empreinte sur une œuvre qui pourrait être considérée comme une expérience unique qui reste dans votre mémoire et n'y échappera plus jamais.

Sebiche
8
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le 9 févr. 2022

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Sebiche

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