Scénario classique mais une leçon de cinéma

Une fois n’est pas coutume, je ne sais pas trop comment aborder mon avis, mon sentiment concernant ce film étant très partagée, ce qui explique qu’il m’a fallu trois jours après l’avoir vu avant de me pencher dans la rédaction de cet avis. Non pas parce qu’il ne m’a pas plus, au contraire : j’ai beaucoup aimé. Bon il est vrai que j’en attendais beaucoup, une grande attente motivée en très grande partie par une promo impressionnante par (entre autres) la diffusion de la bande-annonce au sein des publicités circulant partout sur le net avant la date de sortie. Aussi je vais essayer de scinder mon avis en deux parties : la partie technique et ensuite le reste.


En ce qui concerne le premier point, j’ai pris une véritable leçon de cinéma, et ça je crois que tout le monde sera unanime là-dessus. Car tourner exclusivement un film de deux heures en un seul et unique plan-séquence, ça relève de l’exploit. Oui, j’ai bien dit un. Du moins apparemment. C’est un truc absolument énorme, renvoyant ainsi sur les bancs d’école les adeptes de cette technique. Attendez, attendez, je sens que vous commencez à vous laisser envahir par une légère désapprobation alors soyez patients et laissez-moi m’expliquer car comme bon nombre de spectateurs, je rejoins un petit peu la polémique née sur ce long métrage vis-à-vis de cette technique. On le sait, un seul et unique plan-séquence sur un film entier est tout bonnement impossible. Cela signifierait que ce film a été fait en une seule et unique prise, recommencée à l’infini jusqu’à ce que tout soit parfait du début jusqu’à la fin. Ce qui veut dire aussi pas de bafouillages, pas de fou-rire, pas de mauvais cadrage, bref zéro défaut. Aussi, j’ose affirmer que 1917 est un faux plan-séquence. Et si j’ose le dire, c’est parce que j’ai su déceler au moins une coupure. Le spectateur ne sera pas naïf, il comprendra qu’il y en a au moins une pendant la perte de connaissance du héros dans les escaliers d’une bâtisse plus ou moins en ruines, profitant ainsi de la pénombre. Pour les autres coupures, je suis moins sûr. Encore que le spectateur s’apercevra qu’il voit passer une nuit entière dans un film qui ne dépasse guère les deux heures de temps. Après, j’avoue avoir souvent décroché de mon défi spontané à essayer de voir la fin d’un plan-séquence, trop pris par la mission confiée à nos deux protagonistes. Quoiqu’on en dise, grâce à la qualité du montage, l’illusion est parfaite. Si parfaite qu’on peut dire que Sam Mendes révolutionne à sa façon la technique du plan-séquence, montrant son immense talent dans la manipulation de la caméra en passant d’un personnage à un autre avec une facilité déconcertante, ce qui trahit une parfaite orchestration dans le déplacement des personnages et pour faire basculer au premier plan ce qu’il se passe en arrière-plan (par exemple les avions). L’illusion est si parfaite qu’on a l’impression que l’intégralité du film a été tournée en temps réel, si on excepte la nuit qui passe finalement bien vite. L’avantage de ce montage à la fois si particulier et audacieux, c’est que ça donne de la fluidité au récit, et sans doute une meilleure immersion, car le spectateur est invité à suivre chacun des pas des deux protagonistes principaux. C’est réussi, car malgré l’aspect technique impressionnant de cette façon de tourner, on se surprend à le retrouver après avoir été pris malgré nous dans le périple de ces deux soldats, la musique de Thomas Newman y étant aussi pour beaucoup notamment dans les moments de tension. Cela dit, je me demande s’il n’aurait pas mieux valu tourner ce film en noir et blanc, avec du grain à l’image et quelques défauts sur la pellicule afin que l’immersion au sein de cette mission et surtout de l’année 1917 soit plus aboutie encore.


C’est là que commence la deuxième partie de cet avis. Le scénario. Il est simple. Pas forcément basé sur une histoire vraie. Cela ne veut pas dire qu’il a été forcément inventé de toutes pièces, car on devine aisément que des messagers ont réellement existé. Certains ont sans doute réussi, et d’autres échoué. Mais si on s’intéresse à cette histoire de messagers, on comprendra que les deux, ou l’un d’entre eux vont (va) réussir. Mais dans quel état, ça… épuisé ? blessé ? sans aucune égratignure ? là on en doute, vu le bilan humain catastrophique de cette guerre. Tout cela pour dire que l’histoire est plus ou moins convenue, puisqu’on devine dans les grandes lignes comment tout cela va finir. Mais entre le début et la fin, ça reste plus indécis, même si on sait qu’il y aura forcément des corps à corps, des échanges de tirs… enfin je ne vous fais pas un dessin, c’est la guerre après tout !
Toujours est-il que (et ce dernier paragraphe fera office d’épilogue) Sam Mendes cueille son public à froid puisqu’il a choisi de se passer totalement du générique du début. A froid mais en douceur, s’attardant sur les graminées d’un champ doucement secouées par une brise légère avant d’opérer un mouvement de recul pour faire entrer en scène nos deux futurs héros (héros au sens filmique comme au sens propre). Et comme pour signifier que la boucle est bouclée, le cinéaste terminera sur un plan relativement similaire.
Entre temps on assistera à une sorte de spectacle pyrotechnique avec un éclairage de ruines, presque irréel mais rendu possible par un usage intensif de fusées éclairantes conjointes à un immense brasier, le tout donnant un aspect fantomatique à ces ruines.
1917 est-il alors un film parfait ? Je n’irai pas jusque-là. Il y a quelques petites choses qui me chagrinent quand même. Comme le fait que l'un de nos deux héros se sorte finalement indemne d'une explosion. Ou comme cet allemand qui ne trouve jamais sa cible alors qu’il court après son ennemi pourtant à portée de tir. Cela dit, pas facile d’ajuster sa cible quand on court aussi vite qu’on peut. Oui, une belle part de facteur chance a été donnée, l’un des personnages principaux pouvant remercier les barres de fer d’un pont effondré. Il y aussi cette rivière tumultueuse alors que l’histoire est censée se dérouler en plaine... Malgré tout, il y a quand même une part de réalisme. Les coups de fusil claquent bien, presque trop bien. Ce sont quelques petits défauts qu’on a tendance à retenir, la faute en revenant sans aucun doute à la (trop) grande attente du spectateur, surtout après un "Tu ne tueras point" particulièrement réussi au point de marquer les mémoires, et augmentant par la même occasion l’exigence du spectateur.
Quant au jeu d’acteur, il m’a semblé correct. Peut-être qu’un peu d’humour aurait été le bienvenu entre les deux personnages principaux, bien que je concède que ce conflit et l'urgence de la situation ne laissaient guère de place à cet aspect. Mais on a à l’image deux personnages sans grande envergure, sans charisme démesuré. En somme deux personnages lambda (pour lesquels les acteurs font très bien le boulot), choisis presque par hasard si ce n’était l’existence d’un frérot.
Tiens donc, voilà que ce film se pare rapidement d’un léger parfum de "Il faut sauver le soldat Ryan", avant de faire basculer les pensées du spectateur vers un certain "Cheval de guerre" par la présence de cadavres d’équidés dans le no man’s land. Mendes voulait-il rendre hommage à ces deux réalisations de Spielberg ? Ma foi je n’en sais fichtre rien mais rappelez-vous que les chevaux étaient encore utilisés durant la Première Guerre Mondiale.
Reconnaissons tout de même au cinéaste le souci du détail, allant de la nuée de mouches s’affairant sur les dépouilles animales, jusqu’aux cadavres gonflés par une immersion prolongée dans laquelle ils pourrissent, en passant par ceux restés dans les cratères ou accrochés dans la forêt de barbelés sur lesquels les oiseaux trouvent une pitance bienvenue.


Pour être plus clair, voilà en quoi mon avis est partagé : le film est une véritable prouesse technique, mais l’histoire déclinée en survival n’a rien d’exceptionnel. Telle est ma conclusion.


Un seul regret en guise de post-scriptum : que ce film ne soit pas sorti en 2017 pour célébrer un centenaire et un vibrant hommage à ces hommes qui sont venus se battre sur nos terres pour la liberté. Mais peut-être qu’alors, la technique ne permettait pas encore de mettre un vrai faux plan-séquence... "Birdman" prouve le contraire. Alors on dira que Sam Mendes aavit besoin de temps pour maîtriser cette technique, allez savoir... :-)

Stephenballade
8
Écrit par

Créée

le 22 janv. 2020

Critique lue 594 fois

5 j'aime

3 commentaires

Stephenballade

Écrit par

Critique lue 594 fois

5
3

D'autres avis sur 1917

1917
EricDebarnot
5

Le travelling de Kapo (slight return), et autres considérations...

Il y a longtemps que les questions morales liées à la pratique de l'Art Cinématographique, chères à Bazin ou à Rivette, ont été passées par pertes et profits par l'industrie du divertissement qui...

le 15 janv. 2020

190 j'aime

99

1917
guyness
5

Fier Mendes (dans le nord de la) France

Certains films souffrent de leur intention. Surtout quand cette intention est mise en exergue par leur promotion. Impossible alors de ne voir que le résultat sans juger l’œuvre à l'aune de ce qui...

le 15 mars 2020

150 j'aime

20

1917
Halifax
9

Course contre la mort

France, 1917, une prairie. Première respiration et premier mouvement de caméra. A partir de maintenant et pendant presque 2h, cette caméra ne s’arrêtera plus de tourner, de monter, de descendre,...

le 8 janv. 2020

97 j'aime

7

Du même critique

Blow Out
Stephenballade
9

Brillant De Palma

Voilà un film au suspense hitchcockien, doté d’un scénario on ne peut plus original. Certains diront qu’il a un peu vieilli, moi je dis qu’il respecte l’esprit de l’époque dans laquelle se déroulent...

le 1 févr. 2021

10 j'aime

13

Mon nom est Personne
Stephenballade
9

Valerii à la sauce Leone

"Mon nom est Personne" est un des derniers westerns spaghettis de l’histoire du cinéma sinon le dernier, du moins qualitativement parlant. La première séquence met tout de suite le spectateur dans le...

le 16 nov. 2020

9 j'aime

6

Rio Bravo
Stephenballade
9

La belle, le shérif, l'ivrogne et l'estropié

En matière de western, "Rio Bravo" est un grand classique du genre bien que, avouons-le, il ait pris un léger coup de vieux. Léger, hein ! Malgré tout, on lui reconnaîtra bien des qualités, et bien...

le 31 déc. 2020

8 j'aime

11