L’extraordinaire succès de ce roman graphique, en France et à l’étranger, m’intriguait. Son ubiquité en tête de gondole et en vitrine m’irritait. L’étonnante division des critiques ne m’aidait pas à franchir le pas. Je l’ai enfin lu.
S’il peut apparaître grossier, le dessin monochrome de Riad Sattouf est efficace et les expressions de ses personnages sont justes. Ceci dit, l’intérêt réside dans l’histoire, présentée comme autobiographique. Le premier des cinq tomes annoncés se concentre sur sa petite enfance. L’auteur est un métis, fils d’un universitaire syrien, docteur en histoire contemporaine, roulant sa bosse entre la Syrie et la Lybie et d’une bretonne, mère au foyer.
J’avoue être mal à l’aise devant ce qui m’apparait, à la réflexion, comme le fils adultérin des Souvenirs d'enfance de Marcel Pagnol et de Vipère au poing d‘Hervé Bazin, mâtiné du Voyage au bout de la nuit de Céline :
• Les rares scènes plaisantes évoquent Pagnol, la découverte de son précoce talent graphique pompidolien, les tocades de Kadhafi, la naïveté d’une propagande omniprésente et surtout l’incipit, le souvenir de la passion que déclenchait sa toison dorée chez les "géants admiratifs" : « quel amour de bébé ». Hélas, il ne sera jamais question de Gloire pour son père.
• Car, tel Bazin, il n’a pas de mots assez cruels pour décrire, certes avec ironie, la lâcheté de son père, l’effacement de sa mère et la bêtise de ses cousins et grands-parents.
• La cruauté de la description de la société arabe évoque Céline, il n’est question que de mensonge, violence, machisme, corruption. Notez que l’ouvrage a reçu le soutien enthousiaste de nombreux intellectuels syriens de la diaspora, Sattouf "montrant les choses telles qu'elles étaient". Dont acte.
Novembre 2018