Le premier tome de Ping Pong posait un décor, des personnages, un contexte. On jaugeait les forces en présence, on appréhendait leurs rapports, et, sur la dernière partie, dans l’espace confiné d’un match long de 21 points mais dense comme une vie, le rythme s’accélérait, et on commençait à prendre la mesure du caractère épique, et aussi de l’intensité qu’était capable de tirer Matsumoto d’un match de ping pong. La promesse était si formidable que j’en étais plus sceptique qu’une fosse.


Mais ce tome 2, mes aïeux, bordel de dieu, quelle puissance ! Quelle force ! Quelle frénésie ! Vous vous souvenez comment on se souvient surtout du premier Alien pour son ambiance, et du second pour sa violence ? Eh bien là, c’est pareil, mais en pire. Enfin, en mieux, quoi. Tout comme les Alien, qui sont des films claustrophobes, Ping Pong est une série qui joue de son microcosme pour exacerber ses enjeux. C’est un Japon où les autorités n’existent pas, où l’école, même si elle est évoquée, est évanescente, où même les parents ou les adultes n’existent que dans leur rapport au sport. Ping Pong, c’est un monde où rien, absolument rien, n’existe au-delà des bords de la table verte. Lorsqu’on évoque la défaite d’un joueur (qu’il s’agisse de Wenga ou des membres de Kaio), on évoque pratiquement leur mort, ou au moins la fin de leur existence. Car le ping pong est absolu, la dramatisation totale. Entre le « ping » de la raquette et le « pong » de la table se jouent des tragédies, des bouleversements dont le commun des mortels ne peut avoir la moindre idée.


Il résulte de cette radicalisation de l’échange sportif une pesanteur palpable, qui confère à chaque round des éliminatoires qui constituent la majeure partie de ce tome une tension de western. Et d’ailleurs, par ses cadrages, ses gros plans sur les regards et sa magnification des postures péremptoires de ses héros en short-polo, Matsumoto s’inscrit clairement dans la veine des grands romantiques du duel, tout là-haut aux côtés de Sergio Leone, de Michael Mann ou de Johnnie To : chez lui, un geste, une attitude, une action seule suffit à définit l’entièreté de la valeur d’un homme.


On a coutume de dire, dans les ouvrages théoriques, que la différence majeure qu’il existe entre le cinéma et la bande dessinée est que, dans le premier, c’est le medium qui impose le rythme de l’histoire, là où c’est le spectateur qui assume cette responsabilité dans le second. Et Matsumoto, dans un élan de génie qui ne se manifeste que de manière rarissime dans le 9e art (pas seulement dans le manga, mais au niveau mondial), réussit le tour de force de se rendre maître du temps par-delà la fixité intrinsèque de l’art séquentiel. En lisant ce second tome de Ping Pong, je vous le jure, j’avais le sentiment que c’était l’auteur, et non pas ma propre conscience de lecteur, qui me disait à quel moment je pouvais ou non passer à la page suivante. Dans les perspectives vertigineuses et parfois déraisonnables jusqu’au sublime de Matsumoto, j’ai vu briller l’éclat du Divin.

Toats-McGoats
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le 19 juil. 2016

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