Les Petites Victoires
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Les Petites Victoires

BD (divers) de Yvon Roy (2017)

Parmi les lectures à apparence sympathique cachant un message violent, voir dangereux, Les Petites Victoires de Yvon Roy est un parfait exemple.
Outre l'aspect graphique très doux, avec un jeu des couleurs agréable à l'heure, et des traits très ronds, les compliment s'arrêtent là. Il faudrait de cette bande-dessinée, enlever les dialogues, l'histoire, pour qu'elle soit une œuvre intéressante. Elle serait alors une bonne inspiration pour ceux qui recherchent de nouvelles techniques de dessin.
Pourquoi ai-je intitulé cette critique "toxique" ? J'y viens, justement... Et la réponse est tout simplement parce que la lecture de cette œuvre met extrêmement mal à l'aise.
Pourquoi être mal à l'aise ? Voyons, c'est l'histoire d'un père qui élève son fils autiste !
Les vrais termes, c'est surtout "l'histoire d'un père égoïste qui maltraite son fils autiste pour qu'il ait l'air plus normal". Je parle ici en connaissance de cause. Non seulement parce que je suis autiste, mais également parce que j'ai d'autres connaissances qui le sont, et nous sommes unanimes sur cette oeuvre.
On suit donc un père qui doit faire le "deuil" de l'idée d'avoir un fils normal. Le terme, violent et inapproprié, l'est d'autant plus que cet homme s'attache à l'idée de traiter son enfant comme n'importe quel autre, QUITTE A LE MALTRAITER.
Bienvenue dans une œuvre où le père compare ses ressentit d'homme adulte non-autiste perdu dans une soirée avec le ressentit de son fils autiste vis-à-vis des interactions sociales. Dans une œuvre où un père force son fils à le regarder dans les yeux, alors que ceci est extrêmement inconfortable, voir terrifiant. Dans une œuvre où le père force, pour son seul plaisir à LUI, son fils à accepter un câlin. Un câlin étant, je le rappelle, souvent douloureux pour une personne avec autisme (et peut provoquer des pleurs, des spasmes, des paralysies, des impulsions violente pour se protéger etc. Dans la BD, il décrit même son fils comme ayant ramolli lors de l'étreinte après s'être débattu et avoir pleuré, ce qui est typiquement une réaction de protection lors d'une agression). Dans une œuvre où un père détruit les marques, les repères de son fils en prétendant respecter sa tolérance au changement en le poussant juste sans-cesse à ses limites. Cette situation, juste en passant, vous fait ressentir quelque chose d'assez proche à un instant où vous seriez malade, et presque incapable de retenir vos larmes tant vous souffrez. Un autiste a besoin d'avoir des repères, un truc familier, de trier les choses. Aller contre cela, c'est de la torture psychologique.
Vers la fin du livre, on observe un papa qui accepte aussi que son fils ait des médicaments pour ses "troubles de l'attention"... Alors qu'il était contre au début, mais on lui a dit que ça lui donnerait des points de plus de QI. Tout ceci en précisant que ces médicaments ont des effets secondaires néfastes, comme une addiction au médicament, une perturbation de la gestion des émotions (qu'une personne avec autisme maîtrise mal de base), peut entraîner ou accentuer des troubles du sommeil (fréquent chez les personnes avec autisme), des allergies cutanées, une affectation du système nerveux etc. Mais ça rajoute deux/trois points sur la petite fiche du test de QI, donc c'est bien hein... Il n'y a absolument aucune critique de la chose, on la présente comme LA solution.
Donc, cette bande-dessinée, parle d'un père qui veut à tout prix que son fils ressemble à un enfant normal, parce que lui n'aime pas l'idée qu'il soit autiste. Et pour le rapprocher d'un enfant normal, il se permet de lui imposer des contacts douloureux et non-consentis, sous prétexte que "Oh, regardez, au bout d'un moment il s'arrête de se débattre/de pleurer". Il s'agit d'un père qui fait passer son bien-être avant celui de son enfant, et fait comprendre à celui-ci que ses ressentis et ses besoins sont secondaires face à ceux des autres. Parce qu'il est autiste, et qu'un autiste c'est différent dans ses besoins, et sa manière de ressentir les choses. Et que papa veut pas, parce que "Moi je veux le regarder dans les yeux, rire avec lui, et lui faire des câlins".
J'applaudis pour ce pauvre garçon qui je l'espère ne fera pas un tour par l'hôpital psychiatrique (il y a difficilement pire quand on parle de maltraitance et de déshumanisation légale). Bah oui, il pourrait en avoir marre de souffrir pour plaire à papa un jour le petit bouchon. Non, on ne guérit pas l'autisme. Son fils ne sera jamais "comme tous les autres petits garçons". Il souffrira toujours d'être pris dans les bras, et de devoir regarder les autres dans les yeux. Surtout que, je précise juste, qu'un enfant autiste poussé à bout ne pleure pas forcément, il peut rester silencieux, stoïque, alors qu'il est en trin de s'auto-détruire intérieurement. Ce qui sera probablement le cas de ce petit garçon. Sauf qu'enchaîner ces "meltdown silencieux", ça entraîne vite au burn-out. Bonjour les dégâts... (et je parle en connaissance de cause ici)


Moralité : n'achetez pas cette BD toxique, et mettez là très très très loin des parents d'enfants avec autisme, et des personnes avec autisme. Le message véhiculé est DANGEREUX. Je répète, ne reproduisez pas ce que faire ce père, vous risquez de faire beaucoup de mal.
De la même manière, si vous cherchez à vous renseigner sur l'autisme, merci de vous renseigner auprès de concernés, et pas de parents qui entretiennent une culture de la culpabilisation des personnes autistes, et n'y connaissent au final pas grand chose.

Maenn
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le 24 juil. 2018

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