Nombreux sont les auteurs qui se sont penchés sur le cas d'Oswald Chesterfield Cobblepot sans jamais trop s'y attarder. Expurgé de toute profondeur psychologique, le personnage du Pingouin aura le plus souvent servi de ressort scénaristique aux intrigues enveloppant le Caped Crusader, tout comme bon nombre d'autres patients d'Arkham.
Bien sûr, la version moderne la plus connue du Pingouin reste la vision toute personnelle qu'en aura tiré Tim Burton pour son Batman Returns. Une version singulière, plus assujettie aux obsessions du cinéaste que fidèle au personnage du comic.
A travers La splendeur du Pingouin, le scénariste Gregg Hurwitz revient sur le passé du personnage et en dresse un portrait intimiste, tragique et cohérent.


Le récit propose de suivre le criminel d'envergure que l'on connait, propriétaire respectable du Banquise, un luxueux night-club, tout en restant le plus important receleur de la ville de Gotham. Commanditant une série de braquages sanglants en vue de mettre la main sur plusieurs bijoux de renoms, il s'attire bientôt l'attention de Batman, lequel le suspecte d'être à l'origine des vols de bijoux. Mais Oswald n'en a finalement que faire. Désormais en possession d'un pendentif et de boucles d'oreilles inestimables, il en fait cadeau à la seule et unique personne qui ait jamais compté pour lui, sa mère, désormais grabataire et dont il s'occupe avec dévotion.
Cet axe principal se voit plusieurs fois entrecoupé de fragments du passé d'Oswald.
Né difforme, les traits disgracieux, pourvu d'un appendice nasal semblable à un bec d'oiseau, il fut très tôt l'objet de railleries quotidiennes de la part des autres enfants, y compris de ses frères aînés et même de son père qui n'aura jamais manifesté pour lui que du mépris. La seule personne qui l'ait jamais aimé est sa mère, affectueuse et surprotectrice, aveugle à la laideur de son fils, le berçant de paroles élogieuses et rassurantes.
Oswald dû endurer durant de longues années les railleries et les farces odieuses dont il fut l'objet, jusqu'à ce qu'il décide finalement de contre-attaquer, usant de stratagèmes sournois pour se débarrasser cruellement de ceux qui lui faisaient du mal. Plus encore qu'une forme de revanche, il trouva dans ses premiers actes criminels, un domaine dans lequel il excellait...


Oswald est l'un des ennemis les plus rationnels, voire parfois "raisonnable", du Chevalier Noir, uniquement guidé par l'appât du gain et la soif de pouvoir et de respect qui s'en dégage. Pourtant, le Pingouin n'est pas dupe. Il sait pertinemment faire la différence entre respect et crainte. Il le sait bien, sa réputation de grand caïd le précède, les clients de son night-club le gratifie de poignées de main moites et de sourires inquiets et déférents.
Petit, trapu, laid mais élégant, sans cesse entouré de ses armoires à glace, le Pingouin se félicite d'inspirer la terreur et reste à l'affût du moindre regard de travers, du moindre sourire moqueur esquissé sur son passage. Pour le malheureux qui aura eu l'audace de lui manquer légèrement de respect, le Pingouin s'emploiera à l'anéantir de cette manière particulière qui le caractérise : il ne lui fera rien physiquement, il détruira juste tout ce à quoi il tient, éliminera toutes les personnes qui comptent à son coeur, anéantira sa vie.
Les gens semblent savoir à quoi s'en tenir tant ils craignent tous le courroux du Pingouin.


Il est clairement question de complexe d'infériorité ici, le Pingouin se persuadant à raison que tout n'est qu'une comédie due à la crainte qu'il inspire, une mascarade cachant les sourires moqueurs dont il est l'objet de par son aspect ingrat.
Ombrageux, défiant envers tous ceux qui l'entourent, désabusé par la cruauté dont il fut victime durant l'enfance, le Pingouin n'a de yeux que pour sa mère dont il prend le plus grand soin dans ses derniers instants de vie. A la mort de celle-ci, Oswald s'effondre et ne trouve le salut qu'à travers une autre femme, Cassandra, dont il tombe follement amoureux et sur laquelle il transfère toute son affection. Cassandra est aveugle, et ignore donc son aspect et le monde dans lequel baigne le Pingouin. Tel le Dragon rouge de Thomas Harris, Oswald va aller jusqu'à refuser tout contact physique avec elle, de peur qu'en l'effleurant de ses doigts, elle ne se fasse une idée de sa laideur.
C'est donc un Pingouin à la fois cruel et pathétique que nous décrivent les auteurs, bourreau parce qu'il fut victime, rongé par la haine, la défiance et la solitude.
Le point culminant de son complexe apparaît dans sa mise en présence du Chevalier Noir, noble et impérial, le dominant de toute sa parfaite stature. Ce n'est pas pour rien que la première apparition du justicier convoque l'humiliation du Pingouin devant toute la clientèle de son night-club. Une humiliation qui bien sûr le renvoie en arrière, dans le passé, où il fut l'enfant innocent et solitaire, offensé par son entourage et ne trouvant d'exutoire que dans la compagnie des oiseaux.
Les rares apparitions du justicier de Gotham ne dévient jamais la focalisation d'un récit dont le protagoniste reste le Pingouin. Au contraire, Batman apparaît ici comme une figure oppressante, antagoniste, presque surnaturelle dans certains dessins dont cette sublime vision dantesque où il apparaît épiant son ennemi par la fenêtre de sa chambre, tout en baignant dans une clarté rouge sang qui lui donne l'aura d'une créature démoniaque.
D'apparitions il est aussi question dans les trois caméos silencieux du Joker comme client étrange des coulisses de son night-club. Il nous apparaît s'y adonnant à toute sorte d'occupations bizarres et farfelues sans que l'on sache vraiment s'il s'agit de l'authentique Clown prince du crime ou d'une projection de l'inconscient d'Oswald, voyant alors en la figure du bouffon, non seulement cet éternel sourire moqueur dont il sera toujours l'objet mais aussi un authentique psychopathe, délivré du moindre doute et des tourments de la raison.
Car le Pingouin a encore toute sa raison et bien qu'incroyablement cruel, il reste en fin de compte une victime en puissance. Dépossédé de sa fortune et de sa réputation, il retombe en enfance, victime des quolibets, des railleries cruelles qui ne font que nourrir sa haine.
Sa splendeur, il ne l'aura finalement trouvé que dans le regard affectueux d'une mère et dans la cécité d'une femme amoureuse.


Hurwitz dresse un portrait sublime et sombre à souhait du Pingouin, approfondissant remarquablement le passé du personnage tout en le dotant d'une psychologie complexe.
Les dessins de Kudranski, somptueux de noirceur, jouent sur les temporalités et les contrastes, accentuant le malaise, la tristesse et la cruauté d'Oswald. Le dessinateur va jusqu'à isoler totalement le personnage en reléguant certains visages (dont celui de sa mère) hors cadre. Cerné par les ombres, le Pingouin nous apparaît alors comme une créature tragique, prédestinée à la haine et à la solitude.
Le volume contient en outre une courte et sympathique histoire Joker's Asylum : The Penguin. Du tout bon.


A mon sens, La splendeur du Pingouin s'impose donc comme un formidable ouvrage, appelé à devenir un classique incontournable du Batverse.

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le 2 juin 2014

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Buddy_Noone

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