Il aura inquiété, angoissé, énervé, fait polémiquer, cet album d'Astérix !
Et pour cause ! Rien qu'au titre, il suintait cet esprit MeToo qui gangrène les fictions actuelles tout autant sinon plus que ce que l'on appelle avec crédulité ou avec cynisme la Justice Sociale. N'a-t-on pas promis, acclamé et combattu au nom de cette dernière forfanterie des lèvres plus légères, plus "réalistes" pour Baba, caricature raciste pour les plus ignorants, parodie d'un héros de l'école de Bruxelles pour d'autres ?
Ah, oui ! Il aura inquiété, angoissé, énervé, fait polémiquer, cet album d'Astérix !
Il aura mis en exergue, en relief, tout dans l'oeuf qu'il était, les problématiques de la politisation de la fiction et du fossé des générations de spectateurs, qui ne se calquent pas sur celles des générations d'individus. Un monde de la fiction malade de toutes ses certitudes tant conservatrices que progressistes, un monde tout court malade de toutes ces étiquettes généralisées qui noient la singularité dans des caches qu'il faut absolument remplir.


Alors, amis Gaulois, quid de cette Fille de Vercingétorix ?


Tout le contraire !
Á l'instar de la nouvelle personnalité caricaturée dans un album, Monsieur Charles Aznavour, La Fille de Vercingétorix se baigne à la Fontaine de Jouvence d'un retour aux sources, renouant avec l'événement historique introducteur de l'ensemble de la collection, avec la simplicité d'intrigue au profit de jeux de mots des premiers albums et appelant ses lecteurs à rajeunir spirituellement pour renouer, eux, avec l'espoir.
Qui l'eȗt cru? Pas même Lustucrus !
Et comme le pirate Aznavourian, critiquons cet album enchanteur en chansons !



Comme un garçon de Sylviavartania ou Femme des années 80 de Michelsardus ,



(https://www.youtube.com/watch?v=hDoQu6nyEEM / https://www.youtube.com/watch?v=suEm3aR-2Es)


La Fille de Vercingétorix évite avec brio l'écueil redouté de produire une nouvelle icône Meetoïste, une nouvelle figure de proue pour la Galère #Balancetonporc. Entêtée, d'un caractère bien trempé, la jeune femme - plus qu'adolescente - est appelée Adrénaline. C'est donc bien une femme d'action. Bras croisés, courageuse et presque anarchiste, tâches de rousseur, blasée et persuadée que toute les disputes sont de sa faute, déjà adulte, encore ado, la fille du plus grand des Gaulois est un être plus complexe qu'une potiche ou qu'un poncif de la caricature des jeunes.
Cela ne l'empêche pas d'être par deux fois en position de demoiselle en détresse, sauvée successivement par Agecanonix et par Obélix et Idéfix. Ligotée comme une peluche sous le bras de son ravisseur, la petite reste hargneuse et même railleuse.
Adrénaline s'impose plus par sa dégaine, refuse de s'*"habiller en fille"*et prend des poses de cow-boy et des airs rebelles. Le féminisme qu'elle incarne est un féminisme particulier, qui s'affranchit du féminisme classique de Bonnemine sans tomber dans l'excès d'une Maestria, par exemple. Un féminisme marqué et pourtant superficiel, qui accuse le manque de figures attendues de femmes: la mère d'Adrénaline, la fille de Cétautomatix ou encore les femmes des pirates.
Cela sans doute parce qu'Adrénaline opère un retour au féminisme plus éclairé et clairvoyant des années 80, où égalité femmes-hommes ne signifiait pas écrasement du masculin justifié par la chimérique vengeance des mères victime de la phallocratie mais devenir complémentaire ou forcer l'admiration de ses amis garçons. Adrénaline réussit l'amalgame de l'autorité et du charme. Sa devise est son interprétation de celle de son père: "Résister et être libre". Une interprétation d'une règle vie que Panoramix décrit en ces termes: "à sa manière"; Adrénaline est une Paul Anka au féminin. Adrénaline est surtout vêtue d'un t-shirt noir, armée d'un glaive dans un fourreau bleu et or. Adrénaline est surtout teigneuse, rusée. Adrénaline porte surtout un nom dans lequel se succèdent trois sons vocaliques: [a] [e] [i]. Elle est vêtue comme Astérix, elle dispose des mêmes qualités qu'Astérix, elle porte un nom féminin qui sonne comme celui d'Astérix. Elle est l'égale d'Astérix mais, a contrario de notre héros et de son héros de père, ne se réalise pas dans la guerre. Femme forte mais néanmoins classique, elle s'épanouit en aidant les défavorisés et les enfants du tiers-monde.
Mieux que cela, Adrénaline est l'égale d'Astérix parce qu'elle est pensée en héroïne des sixties pré-68. De ce fait, elle évite l'écueil même de la féminité en laissant le sexe à l'index, revêtant les oripeaux enfantins, angéliques et androgyne d'un Peter Pan des temps modernes. Elle vit vit "à sa manière" et ne parvient pas à s'épanouir cloîtrée dans son rôle de guerrière messianique, le cou alourdi par le torque de son père. Elle n'incarne pas un féminisme mais une individualité bridée par les étiquettes que la société veut lui mettre sur le dos. Quoi de mieux qu'une adolescente pour figurer ce besoin d'air dont nous avons tous grand besoin à l'heure où l'on est progressiste ou conservateur, ouvert d'esprit ou raciste/homophobe/beauf, pro ou anti, blanc ou noir, rangés dans des cases de fiches administratives ?
C'est cela, je crois, qu'incarne Adrénaline. L'éternel être libre qui rêve d'îles et de liberté. C'est pourquoi le duo Conrad-Ferri rejette l'identification, pourtant probable, d'Adrénaline à Greta Thunberg; c'est pourquoi, il est essentiel de laisser Adrénaline être avant tout Adrénaline, une allégorie de la liberté et de l'individualité.


La chanson qui conviendrait ne serait donc ni Comme un garçon ni Femme des années 80 mais serait My Way ou Je ne suis pas un héros. Toutefois, l'individualité célébrée ne saurait exister, semble-t-il sans un autre point fort de cet album ...



On écrit sur les murs de Roussosdemix et UnitedKix



(https://www.youtube.com/watch?v=ir31nLRLXLI / https://www.youtube.com/watch?v=cZKCVU1VbeE)


Car, plus qu'une femme, Adrénaline, comme ses amis et ses protégés, est une enfant.
Et c'est là l'autre emblème de La Fille de Vercingétorix: l'enfance, l'insouciance. Et si souci il y a, le souci de l'avenir.
Adrénaline, Blinix et Selfix, les trois ados, d'un côté, Vercingétorix, Ordralfabétix et Cétautomatix, les trois figures parentales masculines, de l'autre révèlent un fossé des générations, un gouffre entre deux conceptions du monde, deux aspirations professionnelles différentes. Conrad et Ferri réécrivent Le Cercle des poètes disparus au Village des Irréductibles pour rappeler le droit de chacun à tracer son chemin, creusant une strate plus jeune pour leur message de liberté et d'individualisme.
Adrénaline n'est d'ailleurs pas qu'une enfant mais plusieurs enfants à la fois. Elle est cette jeunesse des années 80 qui porte la casquette. Elle est cette jeunesse des années 2010 qui réinvente le langage (bolosse / gaulos) pour désigner ce qui leur échappe. et qui se pokent pour se saluer. Elle est ces jeunesses des années 80 et 60 superposées qui veulent s'occuper des peuples et enfants du tiers-monde. Elle accompagne dans ses voyages le jeune Letitbix, qui philosophise à la Lennon façon Imagine. Elle est ces jeunesses des années 80 et 2010 qui ornent leur cou d'un casque audio métaphorisé en le torque d'or de Vercingétorix. Ce torque dont elle doit se débarrasser pour être, ce casque audio qui coupe du monde et dont jeunes (et moins jeunes) doivent s'affranchir pour renouer avec le monde réel et en avoir moins peur ou en être moins désabusé.
En cela, La Fille de Vervingétorix est un appel très rassurant et positif à une confiance en l'avenir, une convocation de l'insouciance des années qui ont vu naître Astérix. Une cure de jouvence pour la collection mais aussi pour ses lecteurs qui doivent partager ce désir de vivre qui anime Adrénaline et ressuscite à travers elle celui des générations des trente glorieuses et de l'avant-crise économico-intellectuelle de l'après 2000.
Un âge où l'on savait encore parler de l'avenir même si l'on est fatigué, un âge où l'on savait encore rire ...



Faut rigoler ! de Vianborix et Salvadorhenrix



(https://www.youtube.com/watch?v=9pX85rz_-nE)


"Nos ancêtres les Gaulois, cheveux blonds et têtes de bois, longues moustaches et gros dadas, ne connaissaient que ce refrain-là: Faut rigoler, faut rigoler avant que le Ciel nous tombe sur la tête ! Faut rigoler, faut rigoler pour empêcher le Ciel de tomber !", dit la chanson;
Or, c'est justement le point le plus fort de La Fille de Vercingétorix: sa pléiade de jeux de mots, ces allusions comiques, incessantes, qui permettent de traiter pléthore de tabous actuels à la pelle mais avec mesure et légèreté.
Avec Adrénaline et Ludwikamadeus, on traite des familles d'accueil, des familles recomposées, de la question de l'éducation des enfants à l'heure où les idées divergent et sont en guerre; L'éducation romaine d'une Gauloise ou d'un Goth devient par exemple une nouvelle arme de guerre. Ce qui n'est pas sans rappeler la radicalisation de jeunes français mais que l'on traiterait avec la candeur d'Hook ou la revanche du Capitaine Crochet.
Avec les ados et Obélix, on on se gausse des sophismes liés au système métro-boulot-dodo et ses mutations, on s'amuse des clichés de la surconsommation, de la marginalité et de l'écologie.
Avec les pirates, on aborde le prélèvement à la source, la terreur du chômage de masse, du licenciement abusif que l'on saborde à coups de syllepses de sens hilarantes, que l'on doit pour la plupart à Baba, sous les feux des projecteurs, la lèvre toujours aussi grosse mais moins rouges pour apaiser les tensions malvenues.
Un humour qui permet de se hisser au-dessus de la mêlée comme Adrénaline grimpe au haut du mât, au sommet de la vigie, dans une jouissive "montrée d'adrénaline" !



Comme ils disent de Charlesaznavus



(https://www.youtube.com/watch?v=-4-zC8WtwBw)


Si l'humour est efficace, il peut néanmoins ne pas bien passer chez certains lecteurs pour des raisons aussi diverses que subjectives.
C'est le cas de l'homosexualité esquissée de Monolitix et Ipocalorix, deux des Arvernes issus des rang du F.A.R.C (Front Arverne de Résistance Checrète). Les uns feront des deux héritiers de Goscinny et Uderzo des "ténors de la bêtise", découvrant avec amertume l'hyper-sensibilité caricaturale du couple de guerriers, les autres dénonceront la "gauchiardise" de Conrad-Ferri en entendant Adrénaline parler de ses "deux papas Arvernes".
Avoir échapper à l'écueil de la sexualité avec la très-Chaperon-Rouge Adrénaline et foncer en plein dedans avec le thème de l'homosexualité, c'est vraiment un comble, un summum de maladresse !
Mais ce n'est pas la seule maladresse ...



Berry Blues de Gérardrinaldix et les Gaulos



( https://www.youtube.com/watch?v=epgKMYHLE6Y)


Le grand méchant du film, par exemple.
Berrichon qui s'est senti trahi par un Vercingétorix plus proche des Gaulois d'autres régions et qui a rejoins les rangs de César en tant qu'espion.
Pourtant intéressant, il entre en scène en quasi-méchant de Disney, pour confirmer son manichéisme et pour terrifier le jeune lecteur. Pire, il est nommé Adictosérix pour mieux attirer jusqu'à lui le public de Netflix.
Son entrée en scène et le nom de son cheval, Nosferatus, laissaient pourtant le champ libre à des noms plus subtils tels que Cinémaexpressionnix, Murnauetlangfrix ou, mieux encore sachant que son but est d'enlever la petite Adrénaline, Aimelemaudix.
Son origine berrichonne, introduisant un peuple supplémentaire dans l'univers d'Astérix, aurait pu bénéficier d'un traitement plus en profondeur.


Adictosérix n'est pourtant pas le seul laissé pour compte ...



Qui c'est celui-là ? de Pierrevassilius



( https://www.youtube.com/watch?v=ZpHkbNqY7zY )


En effet, plusieurs personnages sortent de nulle part et bien souvent remplacent des personnages pourtant intéressants et pré-existants. Le prétexte de découvrir des personnages nouveaux de Conrad-Ferri n'excuse aucunement qu'on le préfère à approfondir des personnages trop en arrière-plan.
Simplebasix, par exemple, fait à lui seul office de gardien de l'entrée du village. Où sont passés les deux gardiens récurrents des albums précédents ? Mystère ! Mais une chose est certaine: Simplebasix n'est nécessaire qu'à une chose, justifier la fugue de l'un des adolescents. Il s'agit donc moins de découvrir un personnage que de s'assurer une facilité scénaristique.
De même,Selfix et Blinix, les fils d'Ordalfabétix et Cétautomatix, fraîchement revenus de Condate (ville décidément fertile en personnages du village qui réapparaissent au gré des besoins scénaristiques), sont mis en place au détriment de leur cadets vus dans La Rose et le Glaive. Si l'on peut imaginer que Surimix est le fameux garçon d'Ordralfabétix (ce qui est tout de même un peu fort de café), on peut aussi se demander ce qu'il est advenu de la fille de Cétautomatix dans un album qui, par son horizon d'attente renvoyant forcément à celui qui introduisait cette petite fille et son lien avec le fils d'Ordralfabétix. Sauf à s'imaginer qu'elle s'est fait teindre les cheveux pour devenir la petite brune de fin d'album ... On ne s'attardera pas sur les noms peu inspirés de ces personnages qui, comme beaucoup dans l'ère Conrad-Ferri, révèle leur crise de jeunisme et leur passion pour le numérique et les effets de mode. Toutatis soit loué, ils ne donnent pas encore dans le "en vrai" !


Un petit bémol néanmoins à apporter.



Emmenez-moi ! de Charlesaznavus



( https://www.youtube.com/watch?v=PI921KppbIg )


S'il est un vrai point commun entre Astérix et Obélix, qui subissent encore un peu trop l'action et sont mis en arrière-plan dans certains passages, et Adrénaline, qui leur vole la vedette, c'est le désir de voyager. Même le pirate qui emprunte son visage à Aznavour achève son tour de piste sur le célèbre "Emmenez-moi !"
Le ressenti de cette envie de dépaysement, d'exploration de l'inconnu, porte logiquement le tempérament conquérant et optimiste d'Adrénaline. Mais il est aussi un espace de confession pour Conrad et Ferri où le nouveau duo créateur reconnaît sa difficulté à écrire un album "Village", s'épanouissant bien plus dans la rédaction d'un album "Voyage".
La confession est d'ailleurs consommée, gravée noir sur blanc par le biais d'une métalepse adressée au lecteur dissimulée dans cette réplique d'Obélix: "Tu sais Astérix, je me demande si je ne préfère pas les missions à l'étranger ..."
Le prochain album est donc placé sous les meilleurs auspices bien que l'on regrettera de voir l'idée du périple en Chine court-circuité par le cinéma, qui devrait rester un espace d'adaptation. Un album concurrent ? Un voyage chez les Sarmates (Russes) si bien représentés dans Astérix et la Transitalique ? Qui vivra, verra !



Toutelavix



C'est une chance, un défi !


En conclusion, un album qui n'est pas exempt de certains défauts mais qui est reste très agréable, porté par de bons jeux de mots, d'excellents anachronismes, qui survole les polémiques et les soucis pour amener son lecteur à relativiser, prendre le recul et voir à nouveau le monde avec les yeux insouciants d'un enfant ou de l'enfance éternelle des trente glorieuses.
Un bel album qui, à défaut d'excellence, apporte son petit vent de légèreté et d'insouciance.

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le 27 oct. 2019

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Frenhofer

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