L'Étranger
6.7
L'Étranger

Roman graphique de Jacques Ferrandez (2013)

« Aujourd’hui maman est morte. » Meursault vient de perdre sa mère. Il se rend à l’asile pour l’enterrement. Sans émotion, il veille le corps, refuse de faire ouvrir le cercueil et repart aussitôt après la mise en terre. Le lendemain il rencontre Marie, l’emmène au cinéma et couche avec elle. Puis son voisin Raymond le sollicite et les ennuis commencent. La tragédie se jouera sur une plage écrasée de soleil. Meursault tire d’abord une fois puis il presse à nouveau la détente à quatre reprises. Un meurtre qui va le confronter à l’implacable « justice » des hommes.

Adapter L’Étranger en BD est un pari risqué. Jacques Ferrandez était sans doute le plus à même de relever le défi. D’abord parce qu’il a déjà adapté Camus (L’hôte, une nouvelle tirée du recueil L'exil et le royaume) et ensuite parce que c’est un dessinateur parfaitement à l’aise pour mettre en images l’Algérie des années 30. Respectant au maximum le texte d’origine, sa construction suit scrupuleusement la chronologie des événements et il a focalisé toute son attention sur les dialogues, laissant le plus souvent de coté la voix off qui est très présente dans le roman. Le résultat, gratté jusqu’à l’os, est bluffant.

L’Étranger, c’est avant tout une réflexion philosophique sur la condition humaine. Meursault est un personnage totalement atypique sur lequel la vie semble constamment glisser. Il traverse chaque jour avec insouciance. Rien, absolument rien, n’a d’importance. Son patron lui propose une promotion ? Pour lui cela n'a pas de sens. La seule question valable est : que fait-on sur cette terre ? La vie est absurde, elle ne vaut pas la peine d’être vécue. Meursault refuse les règles de la société. Il ne croit pas en Dieu. Sa confrontation avec l’aumônier, qu’il refuse d’appeler « mon père », est d’une rare violence. Profondément antisocial, c’est un être mystérieux dont il est impossible de comprendre le fonctionnement intime.

Graphiquement, la patte de Ferrandez est inimitable. Mélangeant dessin au trait et aquarelle, il représente à merveille la mer, le soleil, la lumière si particulière de la méditerranée, la chaleur... La retranscription d’Alger est par ailleurs d’une grande fidélité (notamment le port et la prison Barberousse) et on a l’impression de ressentir le bruit et les odeurs d’épices qui montent de la ville.

Une adaptation lumineuse. Difficile de matérialiser les silences de Meursault, difficile de traduire en images son état d’esprit si particulier, insaisissable. Jacques Ferrandez a su exprimer le détachement que le jeune homme affiche en toute circonstance. Avec talent et simplicité, il offre un magnifique écrin au chef d’œuvre de Camus. Un très grand album.
jerome60
8
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le 19 juin 2013

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jerome60

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