Une fable à travers l’espace et le temps

Mashima est un cas particulier dans la culture manga. Il est ce genre de personne dont on est obligé de détester le travail si on veut avoir une pseudo crédibilité. Vous avez déjà essayé de parler à un otaku "ultra-câlé-manga" ? Il y a forcément un point dans la discussion où il va vous expliquer que Fairy Tail c’est le pire manga de tous les temps. Parce que c’est une cible facile. Parce que ça met tout le monde d’accord et on aime bien se regrouper par centre d’intérêt mais aussi de désintérêt, ce qui est un peu plus triste.

Ouais j’suis pas subtil et vous m’avez vu venir à des kilomètres, j’ai de l’affection pour Fairy Tail (ainsi que son auteur). C’est un manga avec des hauts aussi prononcés que des bas. Oui il y a beaucoup de ratages, mais il y a beaucoup de fulgurances qui m’empêchent d’être totalement médisant à son sujet, notamment un coup de crayon qui botte des culs et un sens de l’épique foutrement aiguisé.

Alors yep, y a beaucoup à redire sur Fairy Tail et Mashima. Mais on s’acharne tellement qu’on en oublie ce qu’il y a de bien ; et que lorsque quelqu’un est capable du meilleur comme du pire on est en droit d’espérer que le meilleur revienne.

Et il est revenu.

Pardonnez cette longue introduction mais elle me semblait nécessaire. Eden's Zero c’est donc Mashima qui a repris tous ses kiffs et les a foutus dans l’espace. Et on va arrêter les détours et passer à ce que je kiffe dans cette étoile montante. Au moment où j’écris ces lignes, on en est au chapitre 99 dans les scans.

Déjà Mashima assume enfin sa candeur. C’était pour moi un des défauts de Fairy Tail que tout le monde oubliait, le problème c’est pas d’être candide mais de ne pas l’assumer en se cachant derrière une fausse maturité. Et Eden's Zero embrasse la candeur, la naïveté, la niaiserie. Et plonger dans ce genre de trip octroi quelques avantages. Cela permet de développer les thématiques plus frontalement, de créer des enjeux plus simples mais plus efficaces, de mettre en place une atmosphère bon-enfant/feel good très sympathique, etc.

Et en parlant candeur: le pouvoir de l’amitié. Ah vous aimez cracher dessus hein. Bah vous êtes un peu… ennuyant. Moi je trouve ça cool. Bien utilisé ça donne des scènes très fortes et des finaux de combats foutrement épiques, bien mieux dans sa symbolique que le sempiternel

oui bonjour je dépasse mes limites grâce au pouvoir de l’effort et de l’entrainement

qui est un peu trop présent dans les nekketsu et devenu fade à mon goût. Mais au-delà des petites piques que je balance il faut comprendre un truc. Le pouvoir de l’amitié dans le cas de Mashima, c’est pas une facilité scénaristique. C’est son message. Toute son œuvre tourne autours de l’importance des amis. Donc forcément, les liens entre les amis sont le ressort scénaristique numéro 1. C’est juste une question de cohérence en fait. Et si vous trouvez ça trop candide je vous renvoie au paragraphe précédent.

Et puis parlons des ruptures de ton. Un des avantages que j’ai volontairement éclipsé quand je parlais de la candeur… c’est que ça donne des ruptures de ton vraiment fortes. Dans un manga où on parle d’infanticide et de viol à chaque tome, bah ça ne me choque plus quand l’apocalypse ramène sa fraise une dizaine de volumes plus tard. Par contre dans un manga bon enfant, voir d’un coup une mort forte, le rêve d’un personnage voler irrémédiablement en éclat, ou même une mort que l’on devine temporaire… bah ça me marque beaucoup plus.

Par soucis de spoils je vais rester vague sur cet aspect mais globalement tout ce qui touche aux jeux temporels est très bien foutu, ce qui peut surprendre venant de l’auteur qui c’était bien emmêlé les pinceaux avec ça dans son précédent manga mais hey, on apprend tous non ? Le manga garde des cartes en mains, te fait croire à une vision du temps avant de t’en montrer une autre, et on se laisse aller de révélations en révélations très agréables à suivre.

Et il serait franchement cruel de parler de Mashima sans aborder sa plus grande qualité : son dessin. Car si on peut tous s’entendre pour dire que c’est un beauf, c’est aussi un narrateur et un illustrateur de grand talent. Les combats sont parfaitement mis en scènes, parfaitement découpés. Il sait faire ressentir l’impact des coups, il sait rendre ses personnages expressifs et empathiques. Les décors sont riches et variés, les designs des vaisseaux m’ont fait replonger en enfance. Et le récit est d’une fluidité exemplaire.

Et tout ça fait que oui, je lui pardonne volontiers son coté racoleur (bien qu’il se soit nettement calmé tout de même), oui je lui pardonne d’avoir été aussi maladroit (bien que bien intentionné) quand il a voulu parler trafic d’esclaves sexuels.

Et tout ça fait que oui, j’ai eu un coup de cœur pour ce manga. Une fable à travers l’espace et le temps, où on est guidé par cette simple volonté de découvrir l’univers et s’y faire des amis.

Un univers aussi épique que candide, dans lequel je suis ravis d’avoir pris le vaisseau en marche.