Le prix du public du festival d’Angoulême est toujours le reflet des derniers succès de libraires, ceux qui plaisent à tous les lecteurs quels que soient leur âge ou leurs affinités. Le choix n’est donc jamais élitiste, et ce n’est pas le dernier récompensé « Les Vieux Fourneaux » de Lupano et Cauuet qui nous fera dire le contraire. A défaut d’être subtile, cette série qui compte déjà deux tomes est réjouissante.


Scénario : Trois vieux croulants amis se retrouvent à un enterrement, à la campagne et se remémorent le bon temps, flash-back à l'appui. Tout porte à croire que l'on a affaire ici à un récit volontairement rétrograde, une sorte d'ode à la vieillesse et au "c'était mieux avant". Il n'en est rien, Lupano oppose les trois lascars à une jeune au caractère bien trempée, porte-parole d'un conflit de génération classique mais efficace. S'ensuit une flopée de rebondissements toujours burlesques et tragi-comiques, qui étoffent les personnages et leurs passés, sans faire de la surcharge d’informations. Qu’on ne sache pas par exemple qui a mis enceinte Sophie ne gêne pas le déroulement de l’histoire, et permet de se focaliser sur l’essentiel.


Dessin : Un trait qui fait la part belle aux rides et imperfections du visage en tout genre, nous livrant une galerie de vieux atypiques et expressifs. Si les décors et les couleurs restent plus classiques, l’ensemble sied parfaitement au récit, et le porte avec une certaine justesse : il se dégage de ces planches une certaine modestie, celle de vouloir mettre avant tout ses personnages en valeurs, pour la compréhension et la fluidité de l’histoire, privilégiant l’efficacité à la virtuosité graphique, et ce n’est pas plus mal. On remarque tout de même quelques partis-pris audacieux, comme la vingtième page du deuxième tome, dont l’épure rend la scène percutante.


Pour : Si Lupano a frappé très fort avec sa publication entièrement muette « Un Océan d’Amour », on lui remarque aussi un véritable talent pour l’écriture des dialogues avec cette série, et notamment pour le premier tome. Un langage désuet au charme inimitable, des répliques bien envoyées provoquant quelques petits fous rires, on en redemande. Dans le deuxième tome, Lupano peint avec moult détails une entreprise anarchiste qui a tout d’une utopie. Autonomes et ouverts d’esprit, ces vieux anar’ (qui tolèrent aussi les jeunes !) et leur quartier général font preuve d’une autonomie et d’une organisation rigoureuse et jubilatoire. Surtout lorsqu’il s’agit d’aller jouer les troubles fêtes dans des soirées mondaines.


Contre : Malgré tout cela, je m’attendais tout de même à plus de folie de la part de Lupano. S’il arrive pour chacun des deux tomes à installer de bonnes bases à son récit, celui-ci ne prend jamais réellement son envol avant une conclusion convenue pour les deux épisodes. Les personnages sont bien construits, plutôt consistants, mais le scénariste n’arrive seulement pas à renouveler l’intérêt de bout en bout. En atteste le comique de répétition avec la boulangerie dans le deuxième tome qui, s’il fait rire la première fois, agace de plus en plus et ses cinq apparitions sur 55 pages pourraient presque attester d’un manque d’inspiration.


Pour conclure : Ces quatre personnages principaux, dont trois croulants, sont pourvus d’un enthousiasme souvent communicatif. Si le récit manque de consistance, il s’engage tout de même dans l’écologisme et l’anarchisme, peut-être avec une certaine naïveté, mais très loin d’être vaine ou désagréable. L’univers de la série est en tout cas assez solide pour perdurer, et vu le succès qu’ils rencontrent, « Les Vieux Fourneaux » ont de beaux jours devant eux.


Ma critique de la BD "Un Océan d'amour" :
http://www.senscritique.com/bd/Un_ocean_d_amour/critique/41929656


Ma critique de la BD : "Ma Révérence" :
http://www.senscritique.com/bd/Ma_reverence/critique/38535927


Ma critique de la BD : "Le Singe de Hartlepool" :
http://www.senscritique.com/bd/Le_Singe_de_Hartlepool/critique/37484379

Marius_Jouanny
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le 9 juin 2015

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Marius Jouanny

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