Des petits vieux dans des grandes pages

Nazuna Saito a été à peu près oubliée de l'histoire du manga. Ayant débuté sur le tard (fervente lectrice depuis les années 60, n'ayant commencé à être publiée qu'en 86), commençant des publications régulières en 95 dans un magazine prestigieux mais à l'agonie qui fermera boutique 3 ans plus tard. Depuis 98, plus de publication mais un poste à l'université qui transforme Mme Saito en professeur pour apprentis mangakas.


20 ans plus tard, en 2018, sort Au tomber du soleil (2023 en France). Deux choses me frappent :


- Premièrement : la justesse et la simplicité mature des histoires, dont toutes (sauf 2 d'entre elles, les dernières) datent d'avant 98. Saito est une mangaka adulte, qui écrit des histoires pour adulte (et pas "jeune adulte"), des tranches de vie qui commencent bien avant la première case et s'achèvent bien après, parlant de vieillesse, de souvenirs nostalgiques, de solitude, de relations conjugales sans filtre ni rose ni sombre... Elle nous offre une fenêtre temporaire, un point de vue incomplet, qui laisse la place à quelques interrogations, à un peu de rêve. Le trait est rond, simple, les visages sont bien loin des canons de beauté, ils sont expressifs comme peu d'autres...


- Deuxièmement : le fossé net qui sépare les histoires courtes pré-98 des deux dernières, créées pour ce recueil, 20 ans après les autres. La captive et Le palais de la mort solitaire témoignent que Saito est loin d'avoir chômé durant ses deux décennies d'enseignement. Son trait est devenu beaucoup plus précis, son découpage s'est diversifié, ses décors enrichis... Un trait plus "pro", mais qui a gardé toute la singularité qui fait son style. Ses personnages semblent avoir encore pris de l'âge ; par deux fois elle se met (plus ou moins) en scène comme témoin de la fin de vie ou de l'après-mort. Non pas que les histoires précédentes pâlissent complètement à côté des deux dernières, mais ces deux-là atteignent un niveau de maîtrise inédit ; La captive en se faisant onirique, épousant les hallucinations amères de la vieille paralysée, Le palais de la mort solitaire en ménageant avec respect et minutie l'espace nécessaire pour que ce petit écosystème de vieilles gens étranges, solitaires et bientôt oubliés puissent paraître, une dernière fois, vivant et sensible.

TWazoo
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le 17 avr. 2023

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T. Wazoo

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