Arzach
7.8
Arzach

BD franco-belge de Jean Giraud (Moebius) (1976)

Hum...
Arzach. Grande question !
Surtout maintenant que Mœbius est mort. Il va être désormais bien difficile d'en entendre parler objectivement sans sombrer dans la déification aveugle et systématique de l'auteur. Comme d'habitude en pareil cas.
En ce qui me concerne, Arzach ne m'a jamais vraiment touché. Mais c'est sans doute parce que je l'ai connu trop tard, hors-contexte. Un peu comme la fameuse adaptation ciné de L'Orange Mécanique d'Anthony Burgess qui semble bien grotesque 40 ans plus tard. Mais il n'empêche qu'elle a marqué une date dans l'évolution de son medium.

A bien y regarder, Arzach n'a rien de révolutionnaire en soi. Même en 1975 ! Le scénario est pauvre (comme souvent chez Mœbius), la mutité du récit n'est pas une innovation, la mise en page est bien classique par rapport à celle d'un Druillet par exemple et les couleurs n'ont rien à envier à ce que l'on propose régulièrement dans les années 1970, quant au format...
Bref, on cherche en vain la révolution dans tout ça.

Il faut en fait replacer Arzach dans son époque.
En 1972, Goscinny avait refusé de publier dans Pilote un épisode du CONCOMBRE MASQUE ("Le Jardin Zen") de Mandryka. Pas content du tout, ce dernier a donc embarqué Gotlib et Bretécher dans la création de L'Echo des Savanes pour que chacun puisse publier ce qu'il voulait comme il l'entendait, créant ainsi un précédent. Deux ans plus tard, ce fut donc au tour de Dionnet, Druillet et Mœbius de s'émanciper de Pilote et de fonder Métal Hurlant. Un journal de BD consacré à la science-fiction pour un public adulte. Le mot était lancé : la jeune génération rompait avec l'ancienne et par la même occasion la BD changeait de public et se présentait pour la première fois comme un moyen d'expression plus mûr (et pas mâture !) et sérieux.
Métal Hurlant était un journal au format normal* presque intégralement en noir et blanc. On peut donc imaginer la surprise et le choc visuel ressentis par les lecteurs découvrant tous les trois mois les pages bariolées de "Arzach" (janvier 1975), "Harzak" (avril 1975), "Arzak" (octobre 1975) puis "Harzakc" (janvier 1976) au beau milieu de ces austères pages monochromes. Le contraste fut forcément violent et impressionnant pour tout amateur de BD SF de l'époque. Et le fait que Métal Hurlant soit un trimestriel lors de sa première année d'existence accentua l'impact du travail de Mœbius auprès du public (attente et surprise renouvelées tous les trois mois seulement).

Arzach est ensuite sorti en album en 1976 et il est devenu le symbole de cette évolution graphique (la REvolution appartenant plus à Druillet) représentée en fait par plusieurs dessinateurs et scénaristes plus ou moins oubliés à présent (Caza, Lob, Forest..).
Arzach est en fait un peu comme "Love me Do". C'était une chanson finalement sans grand intérêt qui est même assez crispante et ennuyeuse. Mais elle marque le début de la fulgurante carrière des Beatles qui, grâce à ce succès auprès du public, ont révolutionné (et là, le terme est adéquat) la musique populaire en l'espace de seulement sept ans. Sans l'explosion des Beatles grâce à l'étincelle "Love me Do", l'univers du disque - et de la musique en général - ne serait pas ce qu'il est aujourd'hui.
Eh bien à mon sens, Arzach fait plus figure de référence symbolique du passage de la BD à l'âge adulte que d’œuvre véritablement indispensable en tant que telle. C'est un album à lire plus pour ce qu'il représente que pour ce qu'il est réellement. Selon la formule consacrée, il a eu la chance de tomber au bon endroit au bon moment, alors qu'un nouveau public attendait ce genre de chose sans vraiment en être conscient.

-

*: les planches sont au format de celles des albums classiques de Dargaud ou Dupuis (ASTERIX ou LUCKY LUKE par exemples). Contrairement à Pilote qui était en grand format à son âge d'or, comme LA RUBRIQUE-A-BRAC ou LONE SLOANE, par exemples aussi.

Muffinman
6
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le 23 juin 2022

Critique lue 2K fois

11 j'aime

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