De mémoire de lecteur, ce fut durant la moitié des années 90, vers la sortie du très bof Batman Forever et la Batmania qui en a découlé que se débloquait enfin pour de bon la parution française des comics Batman. C’est à peu près à cette époque que je trouvais un jour, à mon grand bonheur, mes premiers comics dédiés au Chevalier Noir. Le premier fut l’adaptation officielle en comics du nanar de Schumacher (…), l’histoire était aussi nulle que le film mais intégrait tout de même quelques scènes coupées (comme la fameuse intro dans l’asile d’Arkham). Puis ce fut le cross-over Punisher/Batman, tombé quelque peu dans l'oubli aujourd'hui puisqu'il n'a jamais été réédité en France.


Il convient ici de revenir brièvement sur le contexte éditorial des comics américains de l’époque. Dès le début des années 90, les éditions Detective Comics choisissent de relancer plusieurs partenariats avec d’autres éditeurs pour booster leur lectorat. Ce sont bien évidemment des titres alors très populaires qui sont choisis et des super-héros plébiscités par le public. Et chaque cross-over se doit logiquement de donner le même temps d’exposition aux personnages de chaque éditeur. Ainsi sont tout d’abord publiés les cross-overs Batman/Judge Dredd et Batman/Predator. L’intérêt de DC est alors d’agrandir leur lectorat en attirant les fans de Judge Dredd et du chasseur Yautja. Et idem pour les éditeurs partenaires qui voyaient certainement en l’association au titre Batman un bon moyen de booster leurs ventes. L’exercice étant un succès, Marvel ne tarde bien sûr pas à rentrer dans la danse. La maison des idées avait d’ailleurs déjà collaboré avec DC sur plusieurs cross-overs (Superman/Spiderman, Batman/Hulk, Avengers/JLA). Les deux éditeurs s’associèrent ainsi une nouvelle fois en 1994 et leurs choix se portèrent logiquement sur leurs deux héros les plus plébiscités des lecteurs, à l’époque Batman et le Punisher. Deux vigilantes dont les univers respectifs, très sombres et souvent particulièrement violents, s’accordaient à merveille pour crédibiliser leur rencontre.


Très vite le choix des éditeurs est de diviser le titre en deux publications, confiées l’une et l’autre à un duo de scénariste/illustrateur différent. Le premier one shot, Punisher/Batman : Lake of Fire, parait en 1994 et découle de la supervision de DC. Elle est écrite par Dennis O’Neil, célèbre rédacteur en chef de chez DC dans les années 80, et qui s’associait ici au dessinateur Barry Kitson. On y retrouve un Frank Castle déterminé à coincer son vieil ennemi Jigsaw lequel, défiguré par le justicier, a fui à Gotham pour lui échapper. Castle débarque alors dans la ville de Batman avec la ferme intention de retrouver sa proie et se heurte alors au remplaçant du Chevalier Noir, Azraël. Car l’intrigue de cette première histoire prenait pour contexte la période où le schizophrène Jean-Paul Valley remplaçait Bruce Wayne sous le masque pour protéger Gotham après que ce dernier ait eu le dos brisé par Bane. Choisi par Wayne pour le succéder (pour ne pas mettre en péril Dick Grayson qu’il jugeait encore inapte à le remplacer), Valley arrivait à défaire Bane (en lui collant une belle râclée) et s’appropriait ensuite le rôle de nouveau Chevalier défenseur de Gotham jusqu’à perdre progressivement la raison et adopter l’identité de son défunt père, Azraël, un vigilante qui avait la particularité de tuer les criminels. Fraichement arrivé à Gotham et déjà lancé sur une piste, Castle se heurte donc à Valley et leur première confrontation se révèle particulièrement violente. Finalement, le Punisher échappe de peu aux griffes de son terrible adversaire mais ne renonce pas à poursuivre sa croisade à Gotham. De son côté, Jigsaw est secouru par le Joker et les deux vilains convolent en une sympathique association de malfaiteurs.


Autant vous dire qu’à l’époque, le jeune lecteur que j’étais n’avait pas la moindre idée de qui était Jean-Paul Valley et ne comprenait rien du contexte de l’histoire. Ce n’est que bien plus tard que je découvrais enfin les arcs Knightfall et Prodigal et pu apprécier pleinement la période dédiée à Azraël. Le combat de celui-ci face à Bane reste d’ailleurs à mon sens un grand moment du Batverse. En y réfléchissant, il est logique que DC ait choisi de mettre en valeur ce personnage dans cette première intrigue : l’histoire se déroule en plein run dédié à ce nouveau Chevalier de Gotham, à l’époque pourtant fortement déprécié des fans, et c’était aussi un bon moyen de booster sa popularité. Il n’est d’ailleurs pas très étonnant de voir que le scénario est signé par O’Brien, c’est lui qui a créé Jean-Paul Valley/Azraël. Malgré le désintérêt des fans pour ce personnage, il est indéniable qu’Azraël a tout pour fasciner le lecteur : son background torturé, son ambiguïté morale et son costume hors-norme en faisant un candidat idéal pour roder dans les rues sordides de Gotham. Le voir se heurter au Punisher est donc tout à fait appréciable quand on sait que l’un et l’autre ne rechignent jamais à tuer les criminels qu’ils jugent indignes de vivre. Pour autant ce premier one shot, bien que porté par les très beaux dessins de Kitson, reste qualitativement en-deca du suivant, notamment pour la minceur de son scénario. Cette histoire ne s’appréciera vraiment que si l’on s’intéresse au personnage d’Azraël et aux démons qui le rongent.


Le second one shot, intitulé Punisher/Batman : Deadly Knights, fut géré par un duo d’auteurs stars de chez Marvel, le légendaire Chuck Dixon s’associant ici une énième fois au dessinateur John Romita Jr. Deadly Knights se déroule plusieurs mois après la précédente histoire et débute sur les chapeaux de roue, avec un Punisher dézinguant toute une tripotée de gangsters retranchés dans un hangar. Désormais tout le monde sait que Gotham est devenue le terrain de chasse du Punisher et les médias n’ont pas perdu de temps pour en faire leurs choux gras. Ce qui ne plait évidemment pas à Bruce Wayne qui a entretemps repris son rôle de Batman et qui compte bien empêcher Castle de mettre le foutoir dans sa ville. De son côté, Jigsaw s’est fait refaire le visage et reste associé au Joker. Ce dernier, plus fou que jamais, ne tarde d’ailleurs pas à provoquer une guerre des gangs dans laquelle s’affrontent les deux justiciers. Ce sont ici les formidables illustrations de John Romita qui frappent l’oeil dès les premières pages par son style graphique précis et dynamique, favorisant les ambiances sombres, à la croisée des influences de Frank Miller et Neil Addams. Le scénario de Dixon, lui, se révèle plus intéressant que le précédent dans la mesure où il nous offre enfin le plaisir d’assister au retour de Bruce Wayne sous le masque. L’occasion cette fois, de confronter les convictions radicalement opposées des deux justiciers et de mettre à nouveau en lumière la fameuse règle d’or de Batman lors d’un duel final aussi surprenant que brutalement expédié.


Au final, ce volume, composé des deux titres, se dévore rapidement. Il donne l’occasion d’aborder l’univers de Gotham dans une de ses périodes les plus sombres et violentes (période post-Knightfall et Prodigal), pas forcément la plus connue, et permet au lecteur de faire connaissance avec une belle galerie de personnages. Dans l’attente incertaine d’une hypothétique réédition, le titre se trouve toujours assez facilement sur la toile, pour ceux qui sont curieux d’assister au séjour du Punisher à Gotham.

Buddy_Noone
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le 26 août 2021

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