Qu'a donc encore bien pu faire John Constantine pour échouer dans un trou pareil ? Pas au fin fond de l'enfer, non, celui-là peut attendre, mais notre anti-héros n'est vraiment pas tombé loin cette fois.


Un pénitencier d'état des longues peines, quelque-part au fin fond des Etats-Unis. Un véritable purgatoire où règnent les gangs, les mafieux, les matons corrompus. Ici, le quotidien s'organise entre luttes de pouvoirs, bluff et viols. On y croise une grande brute pédéraste, sa "propriété sexuelle", un maton colossal au sourire carnassier, un vieux mafieux régnant sur l'ensemble de l'établissement et son bras-droit insidieux et psychotique. C'est donc dans un vrai nid de vipères que déboule un nouveau prisonnier, anglais "à sa façon de causer", beau gosse aux allures de Sting, de stature modeste, les cheveux blonds et la répartie facile.


Très vite, le nouveau venu tape dans l'oeil d'un gang de sodomites particulièrement vicelards, profitant de l'accoutumance à la cigarette du nouveau bagnard pour lui avancer quelques paquets en vue bien sûr de se faire rembourser d'une manière ou d'une autre plus tard.


Fumeur invétéré, le nouveau venu, John Constantine, a pourtant vu venir l'embrouille dès le début mais ne se fait pas de bile pour autant. Après tout, ses précédentes aventures avaient prouvé qu'il avait plus d'un tour dans son sac. Et c'est quand les créanciers l'encerclent sous la douche en vue d'avoir une avance que les choses changent définitivement au pénitencier.


Car Constantine est sorti des douches de manière nonchalante et "propre", mais ses nombreux agresseurs eux y ont été trouvés en pleine crise d'hystérie, allongés sur le sol, les yeux exorbités, à vomir leur dernier repas.


Depuis, la réputation de l'anglais va bon train dans le pénitencier. Tout le monde ignore ce qu'il a bien pu faire à ces durs à cuire pour qu'ils en soient venus à craindre leur ombre. On parle d'une embrouille mafieuse, on murmure que Constantine aurait des hommes à lui dehors prêt à s'en prendre à leur famille sous n'importe quel prétexte, qu'il les tiendrait en respect par un habile chantage de ce genre. D'autres, les hommes de prière parlent ouvertement de lui comme s'il était le mal incarné. Ce qui est sûr c'est qu'avec John Constantine comme nouveau pensionnaire, plus rien ne sera jamais comme avant dans ce bagne.


Fantastique one-shot écrit par Brian Azzarello (100 Bullets, Joker) et dessiné par le légendaire et trop rare Richard Corben (la saga de Den, Aliens Alchemy), Hard Time se veut être une intrigue à part dans l'univers de Constantine, quasiment impossible à situer dans la chronologie de ses aventures.


Pour ceux qui ne connaissent pas le personnage, John Constantine est apparu en 80 en tant que personnage secondaire d'une aventure de Swamp Thing. Créé spécialement pour l'occasion par le légendaire scénariste Alan Moore, celui-ci n'imaginait alors pas que le charisme et la gouaille décontractée du personnage plairait tant au public au point que les éditeurs se décident très vite de consacrer au personnage ses propres aventures en solo.


Pourtant, John Constantine n'a rien d'un héros, mais alors absolument rien. Cynique au dernier degré, provocateur et verbeux, fumeur incorrigible, cancéreux, Constantine est un gentil salop, un petit escroc vivant au crochet des autres et en marge de la société. Mais sa réelle particularité, celle qui fait tout son intérêt, c'est que John Constantine est un authentique magicien. Pas du genre Houdini, non, ni Harry Potter.


Sorcier, serait un terme plus approprié, tant il flirte avec toutes les magies et invoque autant d'entités démoniaques que de revenants. Sa réputation dans les bas-fonds de Londres et même dans la haute n'est plus à faire. Constantine est la personne la plus à même pour exorciser, désenvoûter ou invoquer les forces obscures et les déités des anciens mondes. Se sachant promis à l'enfer pour avoir tenté de se suicider dans sa jeunesse, Constantine garde une certaine amertume envers le Ciel et tout particulièrement envers "le Vieux là-haut". Ce n'est pas faute d'avoir essayé de s'attirer les bonnes grâces des Cieux mais rien à faire, son sort semble sceller, d'autant que Constantine est accroc à l'occulte et préfère même s'acoquiner avec les démons qu'en référer au dieu chrétien.


Mais pour en revenir à Hard Time, les raisons de sa présence dans le pénitencier, en Amérique qui plus est, nous sont révélés au compte-goutte et l'on est à peine surpris que Constantine ait accepté sa peine sans sourciller. Car à partir de son arrivée, le sorcier va chambouler toute la hiérarchie du bagne, usant tout autant de ruse et de diplomatie que de magie en dernier recours. Et peu à peu les événements vont se précipiter, les tensions entre gangs s'exacerber jusqu'à l'émeute, inévitable et dantesque, faisant passer celle de Tueurs nés pour un gentil réveillon de la Saint-Sylvestre. Chaque personnage, à peu près tous des salopards, croisés le temps de l'intrigue en prendront pour leur grade dans un dernier acte aux débordements de violences réjouissants puisque confrontant les pires salops de l'endroit à leur juste châtiment. Constantine a un sens de l'humour particulièrement cruel et une conception douteuse de la justice.


La vision finale du personnage prostré sur une chaise électrique dans la pénombre, comme un roi sur son trône infernal, un sourire malicieux sur le visage, finit de nous convaincre que Constantine n'a vraiment rien d'un héros. A trop naviguer entre les mondes, réel et occulte, le sorcier n'a plus rien à craindre ni de la vie ni de la mort, c'est un homme important qui a des relations des deux côtés de la réalité. La perspective de la mort elle-même n'a plus aucune prise sur lui.


Mais pourtant, il trouvera finalement à qui parler, Azzarello introduisant un nouveau personnage en bout de course pour parlementer avec l'inquiétant maître des lieux.


Ce qui frappe immédiatement le lecteur en ouvrant Hard Time, c'est la patte graphique sans équivalent de Corben. Non pas que ses dessins soient sublimes. Grotesques serait un terme adéquat tant les contours de ses personnages, leurs visages parfois disproportionnés, laissent dubitatif. Comment peut-on avoir envie de lire une bande-dessinée dont les dessins nous déplaisent au premier coup d'oeil ? Dans un certain sens, c'est un peu la même impression que j'ai ressenti en voyant pour la première fois les dessins de Frank Miller pour son The Dark Knight Returns. Pas du tout attrayants tant les personnages semblaient taillés à la serpe, la réputation légendaire de l'ouvrage m'aura poussé à passer outre mes premières impressions et à lire l'oeuvre dans son intégralité, me plongeant de plus en plus au fil des pages dans une aventure hautement addictive.


C'est également le cas pour Hard Time, bien que l'intrigue soit ici plus courte. Le trait de Corben peut déplaire au premier coup d'oeil, le choix des couleurs dérange parfois tant ils détonnent volontairement avec la noirceur du récit, mais au final la forme reste la plus pertinente pour illustrer le scénario d'Azzarello. Corben souligne les expressions, les regards mauvais ou terrifiés, il illustre à merveille la rugosité et la crasse de l'univers carcéral tout en apposant son style inimitable à l'univers du plus célèbre sorcier des comics.


Au final, Hard Time est un très bon roman graphique, encensé par certains auteurs de comics comme étant la meilleure aventure de John Constantine à ce jour. Ce fut ma première incursion dans l'univers occulte de ce personnage hors du commun. Depuis j'ai lu quelques-unes de ses autres aventures (et ait même apprécié le film que bon nombre de puristes détestent) et à mon sens, aucune n'est encore arrivée à surpasser le one-shot de Corben et Azzarello.

Buddy_Noone
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le 20 nov. 2014

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Buddy_Noone

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