Très rare que je fasse ça mais j'ai écouté ce troisième opus de Kendrick Lamar avant ses deux premiers (bien que j'y ai déjà jeté plusieurs oreilles, et ils semblent très bons). Bref, To Pimp a Butterfly.


Une vague, que dis-je, un tsunami de hype s'est emparé de la toile quelques jours avant sa sortie et, exceptés les troglodytes, personne n'a pu ne pas en entendre parler. Certes, KL n'est pas un rappeur comme les autres, et hormis des associations plus que douteuses hors de ses albums, est un artiste vraiment particulier. Il fait partie de cette actuelle frange (rarissime) de rappeurs qui justifie vraiment sa notoriété.
Quand j'ai vu la sortie de To Pimp... je me suis dit que j'allais laisser durer le plaisir quelques jours avant de me jeter à corps perdu sur les 16 morceaux. Et là, LE GROS CHOC FRONTAL. D'autant plus énorme qu'il vient juste après avoir écouté ATLiens, autant dire une bombe déjà en soi. Alors le poids de celui-ci a encore plus de significations après m'être passé cette comète des deux Géorgiens. Alors pour la faire courte, c'est exactement le type de musique que j'adore ; à savoir rap, funk, soul et jazz. Les fondements de la musique noire en somme. Et le plus dingue dans l'histoire c'est que les styles ne se suivent pas d'une piste à l'autre mais s’enchevêtrent au sein-même des morceaux. You feel me? Un maelström de sonorités ardentes, de choses complexes auxquelles viennent se rajouter des textes finement choisis et ciselés. Du travail d'orfèvre. La production, j'en parle même pas, elle est juste métaphysique. L'entendement ne comprendrait même pas le procédé.
Pourtant 78 minutes c'est long, très long à l'accoutumée, d'autant plus qu'il n'y a aucun skit ni interlude à proprement parler (même si ici y en a deux mais qui constituent des chansons à part entière). Tout fait sens, rien à jeter, tout à consommer. Plutôt deux fois qu'une si vous souhaitez vraiment saisir le concept de cet album (les spoken words notamment). A l'instar d'une musique classique de haut vol, ce Pimp est un fragment de vie qui fera date, croyez-moi. Un moment si singulier que je ne vois, à l'heure actuelle, aucune production capable de rivaliser (bien que je pense à My Beautiful Dark Twisted Fantasy semblant lui aussi graviter sur une autre planète).
Le single "The Blacker the Berry" avait lancé les hostilités en février ; ce morceau aux couleurs si chamarrées qui n'était pas juste un single lâché comme ça pour faire genre, mais un VRAI avant-goût d'un VRAI album où les autres morceaux seraient du même acabit. Car oui, cette chanson est superbe, aucun doute. Mais qu'en est-il du titre introducteur "Wesley's Theory" où l'ombre de Parliament est présente avec ces forts accents g-funk ? Qu'en est-il de "King Kunta" où la funk s'invite sur la table du hip-hop ? un morceau lancinant avec guitares électriques tournoyantes en sus dans la seconde partie. Quid de "How Much a Dollar Cost" où l'on se sent une influence criante de D'Angelo ? ; de la soul virevoltant sur des touches jazzy, tirant sur la corde éthérée d'une musique lénifiante, là où la piste précédente "Hood Politics" joue dans un domaine où les esprits brumeux d'une rue mal éclairée vous font rencontrer les anges lumineux de chœurs africanistes.


To Pimp... est un condensé de tellement de styles, de genres, de fiches de lecture possibles, de chemins à emprunter, laissant libre-court à l'interprétation, laissant l'auditeur sur une œuvre qui le laisse coi. Comme ce saxophone sur "u", ces verres clinquants, cette voix souffrante, implorante, ce bar-lounge qu'on imagine derrière cette musique, ces personnes qui discutent dans une atmosphère feutrée où seul un homme, debout, déclame des choses que tout le monde semble ignorer. Il est seul dans ce microcosme, laissant transpirer son désespoir. Ils sont nombreux mais il est terriblement seul. Il est vous, il est nous, il est moi.
Opus dans lequel chacun peut se retrouver, où chacun peut trouver sa place. Doit trouver sa place.
Douceur d'une nuit d'été, brise du soir et le son d'un instrument qui vient murmurer à votre oreille que rien n'est jamais fini. Que tout est possible.
Que la musique vous surprendra toujours, surtout quand vous ne vous y attendez pas. Ou plus.


Que dire de plus ? j'ai été soufflé.

lehibououzbek
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le 21 mars 2015

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lehibououzbek

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