The Suburbs
7.5
The Suburbs

Album de Arcade Fire (2010)

Depuis ses premiers battements, le rock'n'roll parle la ville.


Concocté à partir d'une fusion de différents courants musicaux, du rythm and blues en passant par la country, sa spécificité, à l'instar d'autres bien sûr, a toujours été de traduire dans un élan nerveux et électrique, les sentiments et les instincts palpables des sociétés.
À travers les époques, un même refrain a toujours transcendé sa pulsation: celui de détricoter l'espace urbain. Raconter ce qu'on y trouve entre ses artères, dans son cœur, à sa lisière, etc... Le rock enregistre le pouls de la rue, l'amplifie et atomise dans l'air par ses accords déstructurés et ses chants racoleurs, les chaudes humeurs, afin qu'elles rallient toutes les avenues, tous les chemins, toutes les oreilles chastes. Il Triture de l'intérieur un agencement trop carré, pour en sortir un souffle nouveau, brut comme un premier jet, mais auréolé d'une intention honnête, insubordonnée et fédératrice: le son rock'n'roll.


Rock Around The Clock de Bill Haley & the Comets, sorti en 1955, qu'on considère volontiers comme le premier tube de l'histoire du rock, ne prétend rien d'autre si ce n'est envoyer valdinguer les conventions et



danser toute la nuit...



Mais près de 55 ans plus tard, les choses ont changé. Le contexte initial n'est plus le même. Les barrières endiguant la scène du rock'n'roll sont tombées depuis des lustres. Pire, le marché, toujours en quête de guitares fraîches, s'est administré la scansion et a formaté peu à peu son énergie énonciatrice originelle en un flot intarissable de riffs communs.


C'était mieux avant donc ? Le rock au 21ème siècle n'embrase plus les foules comme dans les 60's ou les 70's, c'est certain. D'autres genres musicaux ont pris le devant de la scène. Néanmoins, il serait dommage de louper les groupes de rock pas-si-rares-si-l'on-se-donne-la-peine-de-les-écouter qui aujourd'hui encore, battent le pavé honorablement.


Arcade Fire, depuis ses débuts, met un point d'honneur à revigorer le rock, à le bousculer afin qu'il ne se léthargise pas. Le groupe de Montréal perpétue l'écho mythique du larsen , albums après albums, et avec ce troisième scud: The Suburbs (oui, parce que je vais quand même finir par en parler) passe définitivement du statut de rookie plein de potentiel à nouveau pilier du Hall of Fame rocknrollesque.


Les premiers mots du disque sont ceux-ci:



In the Suburbs, i...



En à peine 4 mots, la voie est tracée. L'essence même de l'album est déjà contenue dans cette phrase. Parce que l'ensemble des titres suivants découle de cette, anodine et simple phrase...


The Suburbs est un concept album. Et le concept dans le cas présent, va être de raconter l'asthénie morale inhérente aux banlieues. Le sentiment de vacuité qui voyage, mais en vase clos, qui tourne en rond pour ainsi dire, en boucle dans ces quartiers. Par le prisme de la voiture, symbole d'affranchissement et de liberté, on va pérégriner d'un bout à l'autre du circuit.
The Suburbs est une ballade désenchantée, nourrie par les regrets et les ressentiments. Au fil de la course, on croise un tas d'écueils. À chaque tournant, une désillusion s'érige à même les fondations d'un immeuble. Un jardin laissé en ruine par un millionnaire dans une prison privée, chante le groupe. Le délabrement est partout, l'espoir; juste introduit dans les chansons. Comme un ultime soubresaut de l'âme, le chanter pour qu'au moins, une trace apparaisse.
Ces périphéries multipliées en dépit du bon sens. Déconnectées, mal habillées, des pavillons qu'on entasse les uns sur les autres. Un réseau de blocs et de signalisations, infernal labyrinthe, où plus aucune transcendance n'arrive à percer le trafic. Rien de vertical si ce n'est ces tours sombres, un horizon plat, indéfiniment plat, le terrain d'un jeu du néant, tout juste propice aux roues d'une bagnole.


Les personnages de l'album gravitent dans cet univers d'en bas. Il se traînent, oisifs et frustrés, sur les trottoirs et rêvent à d'autres paysages moins gris.
The Suburbs parle de cette jeunesse, de notre jeunesse, renfrognée mais ivre de sensibilité, déconnectée de la terre car née sur le béton de l'aménagement, désireuse d'une nouvelle récréation, d'une porte de sortie, pas d'un tour de manège dans une zone commerciale.
Une jeunesse souffrante de ne pouvoir substituer son morne cycle pour une autre vie.


16 titres, comme des petites histoires, pour siffler l'inanité.


Un album entier pour capter le vide existentiel qui ronge nos sociétés, et ce depuis des décennies.


The Suburbs s'inscrit dans la filiation des grands albums de rock. S'il n'est pas aussi furieux que pouvait l'être un London Calling ou un Nevermind. Il est tout aussi générationnel. Parce que raccord avec son époque, captant les appétences inavouées ou étouffées.
Notre monde, comme le rock du 21ème siècle, joue davantage la musique mélancolique et la nostalgie tenace. The Suburbs, en cela, transparaît de modernité.


J'aime à considérer cet album comme la suite logique d'un autre. En 1997, Ok Computer de Radiohead avertissait l'homme du futur et condamnait, déjà, l'ère numérique balbutiante. The Suburbs, lui, glisse sur le bas-coté, constate les dégâts, et conjure le désespoir de l'homme moderne, prisonnier des cités abandonnées.

Liverbird
9
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le 7 févr. 2017

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Liverbird

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