The Seer
7.8
The Seer

Album de Swans (2012)

Il serait facile de commencer par décrire la musique des Swans comme un condensé de noirceur pure, car c'est bien ce qui frappe d'emblée à l'écoute de chacun de leurs albums : une pulsion malsaine et profondément dérangeante émane de leurs compositions, détectable dès l'arrivée d'un piano désaccordé dans les premières secondes de "Lunacy". Aucun doute dès lors, avec The Seer, on baigne en terrain connu.
Passons donc sur l'ambiance (mot-bagage, concept trop vague), car elle n'explique rien. Le fait que les Swans pratiquent une musique sombre et froide est une évidence depuis leurs débuts ; pourtant, prendre du plaisir à écouter leur musique n'a rien d'évident. Il faut creuser, multiplier les écoutes pour pouvoir enfin saisir les nuances qui animent l'album et en font un objet unique, traversé par autant de lumière et de grâce que d'émotions négatives.

Les Swans ont fait leur grand retour sur le devant de la scène il y a deux ans avec le remarqué My Father Will Guide Me A Rope to the Sky. Après 13 ans d'absence et sans la chanteuse Jarboe, Michael Gira semblait avoir trouvé un terrain d'expression sans limites... The Seer est dans la même lignée, mais se révèle surtout être une oeuvre plus copieuse et ambitieuse (deux disques, et trois morceaux avoisinant les 20 minutes).
On sent la présence de Gira, écrasante, derrière chaque titre ; il mène la sinistre barque de sa voix envoûtante, peignant par ses paroles, ses murmures et ses choeurs des fresques illuminées, décrivant la mort avec passion.
On sent un mal qui le ronge de l'intérieur, qui se traduit par un malaise omniprésent dans le premier disque (tout comme la voix de Gira, alors qu'elle est quasiment absente du second). Une sorte de frustration ou de retenue se fait ressentir dans l'introduction de "Mother of the World", jusqu'à ce que ce souffle haletant en arrière-plan puisse exploser à sa guise ("In and out and in and out... again").

Pour revenir à la description, il serait facile de parler de la musique des Swans comme étant "inclassable" ; pourtant l'expression ne serait pas volée tant le groupe est parvenu à créer un univers sonore unique, se délestant des codes et des limites inhérentes aux genres et aux classifications. Prenons exemple de l'ambient jazzy dégagé dans "Av 93 Blues", à faire froid dans le dos (ce son aigu si perturbant, qui oscille entre sirène d'alarme et cri d'animal agonisant), ou encore de l'oeuvre complète et dantesque qu'est "Avatar" (où les cloches flirtent avec la guitare en distorsion)... Michael Gira nourrit un imaginaire musical extrêmement varié, où l'émotion ne semble plus être le résultat d'une technique, mais une expression si intimement lié à son créateur que l'émotion est là, vivace et réelle, remuant constamment les tripes de son auditeur.

Ce qu'il en résulte, ce que l'album dégage à chaque morceau, ce sont des sensations discordantes, agaçantes puis salvatrices, comme si l'apaisement et le bien-être devait être le fruit d'un travail de l'auditeur, comme il l'est du musicien. Ainsi il ne se laisse jamais porter par le flot des mélodies, mais se trouve constamment bousculé par ce qu'il entend.

De ce fait, la séparation entre les deux disques est très intéressante : le premier est plus écorché et instable, traduisant les angoisses de Gira (les morceaux font entre 2 à 32 minutes). Le second ne contient que 4 morceaux, allant progressivement en longueur, démarrant par l'étonnant "Song for a Warrior" où une femme, au piano, chante d'une voix douce et rassurante :
"Some people say
God is long dead
But I heard something inside you
With my head to your chest"
Ce deuxième disque est plus ancré dans une sorte de contemplation, de soumission à Dieu peut-être ('me suis pas encore penché sur les paroles), mais il finit pourtant par un morceau qui s'appelle "The Apostate"... "Avatar", le deuxième titre, reste l'une des pièces les plus emblématiques de l'album avec le vicéral "Mother of the World" ; il marque non seulement pour son instrumentation très variée, mais assi pour la mélancolie majestueuse qui le traverse. Dans la lignée, "A Piece of the Sky" est la quintessence de cette mystification, comme si l'on atteignait un état de grâce infini (la partie centrale du morceau, vers 8 minutes). Gira y chante mélodiquement, du jamais-vu jusqu'alors...
Le final, "The Apostate", renoue bizarrement avec les sonorités discordantes de la première partie. Vers 15', la musique se rapproche plus d'une forme musicale classique (avec une batterie bien séquencée, et groovy), et il en ressort une impression paradoxale de folie, comme si cette façon de faire de la musique n'était plus naturelle.

The Seer est une de ces oeuvres complètes, cohérentes et si fascinantes qu'elles bouleversent presque ma conception-même de la musique, tant Gira semble mettre corps et âme à développer sa vision toute personnelle du monde. Je dis "presque" car je ne prétendrai pas encore être venu à bout de ce monstre.



(oh putaing c'est mal organisé tout ça, je mettrai de l'ordre dans mes idées... demain.)
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le 10 sept. 2012

Modifiée

le 10 sept. 2012

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