The Golden Age
6.8
The Golden Age

Album de Woodkid (2013)

La période musicale contemporaine est marquée du sceau d’un éclectisme engendré par un espoir insensé : celui de réinventer. Rock psychédélique, post-rock, electro, hip hop… Les genres tournés vers le monde d’après se multiplient avec chacun leurs œuvres charnières. Certains critiques littéraires ont affirmé que Proust signait, avec A la recherche du temps perdu, la mort du grand roman français. L’analogie ne semble pas tenir dans le domaine de la création musicale. Où s’arrêter ? Aux Beatles, à OK Computer, au développement de la musique électronique… ? Autant d’étapes qui semblent offrir des potentialités infinies. Et l’innovation survient pourtant là où on ne l’attend pas, parfois par exploration pure, parfois par synthèse ou même par imitation.


Un certain bonhomme barbu à l’allure de nounours strict, portant lunettes et chapeaux, est symptomatique de cet éclectisme. Son véritable patronyme est Yoann Lemoine, tout le monde le connaît sous le nom de Woodkid. Après s’être fait remarquer en tant que réalisateur, ce "petit trentenaire" français livre une musique de classe supérieure. Tandis que des gens comme Willy Moon ont pour horizon passé la quintessence rock’n’roll des années 1950 et 1960, lui voit encore plus loin en arrière. On croit se sentir vieux en écoutant les héritiers de Sam Cooke et des Beach Boys, et voilà que Woodkid débarque et nous emmène droit au Moyen-Age avec un album intitulé The Golden Age. L’âge d’or de quoi, au juste ? Probablement pas du rock ou de la pop music, qui n'ont pas d'époque. D’ailleurs, le style de Woodkid n’a pas de nom : alternatif, indie pop… restent des termes très englobants qui échouent à représenter les singularités. Contentons-nous donc, pour qualifier la musique de Monsieur Lemoine, de deux qualificatifs qui traduisent bien ce qu’on ressent à l’écoute de son premier effort : épique et moyenâgeux. Imaginez que vous vous pavanez dans un château fort d’où les bouffons ont été bannis, en route avec le roi pour soustraire une princesse à des hordes barbares.


Un tel saut dans le passé chevaleresque, cela ne passe pas innocemment. Le superbe « Iron » avait déjà été dévoilé dans le jeu vidéo Assassin’s Creed pour donner un avant-goût. Maintenant, ce sont quatorze titres emprunts de la même couleur locale qu’il s’agit d’ingurgiter. En concert, Woodkid est un professionnel capable de propager une intensité telle que les frissons sont garantis. Quant à l’album, il est très original même si on ne peut pas parler de chef d’œuvre étant donné qu’il est aussi inégal. Sans être désagréables, la moitié des titres sont trop peu accrocheurs pour rentrer dans les annales. Ils sont originaux en tant que tels, mais pas tellement en tant que titres de Woodkid. La faute à un chant prenant, mais finalement trop peu diversifié ? Restent des chansons inoubliables qui permettent de s’évader en-dehors du marasme contemporain. Sur « The Golden Age », le passage délicat de la mélancolie à la joie s’effectue par un sursaut épique qui sait requinquer un homme ou une femme de manière aussi efficace qu’une bonne bière brassée dans une taverne. « The Great Escape » commence avec des cordes façon Disney avant que les cloches ne sonnent le début d’une escapade guerrière dans laquelle Mickey Mouse n’aventurerait pas ses grandes oreilles. Quant à « Conquest of Spaces », elle manie avec succès le duo magique flûte/orgue pour mieux grandir l’auditeur rêveur.


L’idéal de classe et de noblesse est servi par une instrumentation baroque de qualité : moult violons et trompettes viennent soutenir les percussions tribales et la voix grave du chanteur. Pas besoin de guitares ni de basse : le piano fait très bien l’affaire, en tant que soutien à la tonalité mélancolique principalement. Cela permet de faire de « Where I Live » une chanson lyrique et torturée sans être banale. Woodkid ne se moque pas de son public : les quarante-cinq secondes de l’instrumental expérimental « Falling » font partie de ces moments subliminaux qui marquent un auditeur inattentif sans qu’il en ait conscience tant ils sont peu orthodoxes. Le titre de « I Love You » a beau être de la plus grande banalité, cette chanson tubesque parvient à réinventer la manière d'exprimer musicalement ce sentiment et peut être vu comme la preuve que Woodkid cherche l’authenticité plutôt que la démagogie. D’ailleurs, comme sur tout l’album, les paroles sont poétiques et avant tout destinées à être entendues comme sonorités. Les couplets sont plaisants, quoiqu’ils servent surtout à préparer l’explosion des refrains. L’auditeur sensible peut bailler à certains moments, mais il ressort changé de l’écoute de The Golden Age, d’une manière ou d’une autre. Peu importe comment s’appelle le style de Woodkid, c’est le sien et il mérite un petit détour par la case 2013. L’histoire musicale n’est pas finie, il y a de belles comètes dans le feu d’artifice. Réaffirmons-le : vive la modernité et son éclectisme !

Créée

le 11 mai 2014

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5

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