The City
7.1
The City

Album de Vangelis (1990)

Vangelis n'a pas toujours passé son temps le nez dans les étoiles, comme un certain nombre d'albums cosmiques le laissent à penser. Il a même consacré un disque entier à la ville - mais à sa manière, spirituelle, paisible, philosophique, faisant de The City une bal(l)ade contrastée au cœur de mondes urbains beaucoup moins inquiétants que ceux de Blade Runner.


L'album est articulée autour du déroulement d'une journée, depuis l'aube ("Dawn", le titre d'ouverture) jusqu'au crépuscule ("Twilight"), qui s'étire jusqu'au cœur de la nuit et de ses lumières ("Red Lights") qui racontent beaucoup de l'activité humaine ("Procession").

Dans le détail, on pénètre en douceur dans les premières lueurs du jour : "Dawn", en effet, déroule sur quatre minutes un unique accord de nappes synthétiques, sur le tapis duquel une trompette synthétique se promène avec légèreté, à peine entrecoupée d'un son indéfinissable, entre le piano électrique et le vibraphone.

Quelques effets sonores - gyrophares lointains, horloge, rumeurs d'aérogare - font office de transition, traversés des voix de Roman Polanski (alors grand ami et collaborateur de Vangelis) et de sa femme Emmanuelle Seigner. Ainsi introduit, "Morning Papers", faux jazz lymphatique, nous installe à la terrasse d'un café, un journal entre les mains et les yeux perdus dans l'activité naissante de la ville.


Si ce deuxième titre s'anime un peu plus, notamment d'un curieux son fouetté de flûte de pan qui transperce cette grisaille endormie, on craint de s'embarquer pour une ballade new age un peu mollassonne qui risque de tirer en longueur.

C'est là que Vangelis décide, sans transition (mais avec un art parfaitement maîtrisé de la transition musicale), de tirer vers un rock électronique qui rappelle immédiatement le gros son de Direct, paru deux ans plus tôt. Batterie et percussions électroniques, sonorités de guitare électrique, sons plus pointus, construction plus élaborée et plus variée, "Nerve Centre" nous conduit dans la frénésie du centre-ville, sans renoncer à la beauté, avec un final répétitif rythmé par des chœurs électroniques semblables à une invocation païenne.


Le réveil est de qualité, et autorise à enfourcher une moto (petit effet sonore de transition) pour partir explorer les rues alentour. "Side Streets", nanti d'une jolie mélodie au violoncelle, poursuit dans un registre proche de celui de Direct en convoquant, sur une boîte à rythme bien calée, des sons inclassables et des arrangements discrets débarrassés des omniprésentes nappes qui forment souvent la signature un peu facile du compositeur.

"Good to see you" reste dans la même lignée, en moins fort cependant, et un peu plus (trop) long - 6'51 au compteur, tout de même. Pas désagréable à l'écoute, très "directien" encore une fois, et encombré au final d'une voix féminine qui semble susurrer une conversation téléphonique émaillée de "love you" crô mignons.


Contre toute attente, puisque l'album s'est ouvert à l'aube, le crépuscule surgit au sixième morceau sur huit. "Twilight" reprend un ton plus contemplatif, avec une nappe éthérée, une séquence métronomique à l'arrière-plan façon Soil Festivities, et une harpe qui improvise l'animation mélodique durant les cinq minutes du titre.

On pourrait se quitter ainsi, mais ce serait oublier que Vangelis est un oiseau de nuit, comme la plupart des musiciens, et que la rencontre de l'obscurité et des lumières qui l'animent le passionne. "Red Lights" relance une boîte à rythme bien carrée, un peu plus rapide que sur "Good to see you", pour un curieux mélange de voix japonisantes, de cornemuse électronique, de mélodies improvisées et de coups de timbale intempestifs.

De quoi guider avec énergie vers le long morceau final dont le titre laisse parler l'imagination. Retraite au flambeau au cœur de la ville nocturne, vision en surplomb des lumières de la cité qui ne dort jamais, ce titre ultime s'appuie sur une superbe mélodie au violoncelle, des arrangements de voix rythmiques, une grosse basse synthétique et une construction répétitive qui créent un effet de "Procession" hypnotique, dont on voudrait qu'il ne s'achève jamais. Un procédé en germe dans le dernier titre de Direct (oui, encore) et dont Vangelis va se faire le maître dans deux œuvres majeures à venir, le "Pinta, Nina, Santa Maria (Into Eternity)" qui clôt 1492, et "Messages", l’antépénultième titre de Voices.


Premier album des années 90, The City est un titre charnière dans l’œuvre de Vangelis, conséquence logique du changement radical introduit par Direct, et sorte de répétition générale pour le gigantisme opératique qui, à partir du prochain 1492, constituera la signature sonore du compositeur - pour le meilleur et pour le pire.

ElliottSyndrome
7
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le 7 févr. 2023

Critique lue 26 fois

ElliottSyndrome

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