Glaciation est un groupe dont j’ai découvert l’existence tout à l’heure, et dont le line-up réunit grosso modo le gratin du gratin de la scène black française. Jugez-en par vous-mêmes : Des membres issus de pointures tels que KPN, Mortifera ou Anorexia Nervosa, pour ne citer qu’eux. Bref, une agréable surprise que de découvrir Glaciation.


Plus grande encore fut la surprise lorsque vint l’heure d’écouter leur premier opus, sorti il y a 6 jours. Sur les falaises de marbre. Déjà l’artwork, signé Fortifem, annonce la couleur. Un album de marbre. Solide et limpide, le cadre immaculé met en exergue la gravure d’un village abandonné. Ambiance.


Musicalement, Sur les falaises de marbre est un bijou de black atmo. Des riffs planants et simples, dont le caractère répétitif ne lasse à aucun moment. En effet, bien que les pistes soient assez longues, elles sont entrecoupées de samplings de citations en français, peut-être des extraits de vieux films, mais ma culture cinéphile est bien trop peu développée pour être assurée sur ce point-là (cf : « Les fiancées sont froides »). On retrouve quelques interludes aux synthés/cordes, qui contrebalancent tous ces riffs tempétueux, pour apporter à l’ensemble de l’album une dimension de sérénité, de calme, m’évoquant en filigrane ce que je ressens à l’écoute du dernier Solstafir, par exemple. Enfin, les chants de Neige, qu’on ne présente plus, et de RMS Heidmarr (chanteur des feu Anorexia Nervosa, groupe emblématique de (bon) black sympho, splitté il y a presque 10 ans.), s’allient de la plus belle des manières. Le chant hurlé de Heidmarr, rencontre ainsi sur « Le soleil et l’acier » les vocalises claires et atmosphériques de Neige, permettant une synthèse parfaite entre l’agressivité d’un black très NSBM-isant et la langueur stoïcienne de perles atmosphériques telles qu’Alcest ou même Empyrium. De même, si un titre comme « Kaputt » transpire la hargne et la rancœur (Je n’épiloguerai pas sur la dimension politique des textes.), le titre éponyme, qui clôture l’album, est doux et reposant.


Les premiers paragraphes de cette chronique ayant été écrits sous le coup d'une certaine émotion disons-le, étaient le reflet d'impressions fruit d'une réaction à chaud à l'écoute de cet album.La seconde partie, de la chronique, rédigée après 5 ou 6 écoutes, visera donc à approfondir mon ressenti de l'album, qui reste plus ou moins le même.


A force d’écouter « Sur les falaises de marbre », je me rends compte que sa substance « black metal » ne doit sa pureté et sa beauté sans nom qu’au panel assez hétéroclite d’influences qui gravitent autour de cette même substance. Ainsi, l’intro de la piste 3 (« Le soleil et l’acier ») est un riff clairement stoner. Si si, vous avez bien lu, un riff de stoner, qui s’imbrique de façon remarquable dans cet album. « Cinq », et ses lignes de saxophone, m’évoquent à la fois le « Blackjazz » de Shining, et tout en dépassant l’expérimentation progressive/jazzy, pour s’effacer à fin du morceau, au profit d’un extrait de musique classique, que moi et mon inculture sommes incapables d’identifier ou de relier à un quelconque compositeur. La dernière piste enfin, est acoustique. Des arpèges très simples, lesquels portent des vocaux aériens, évoquant explicitement l’œuvre désormais assez reconnue de Neige au sein d’Alcest. Finalement, toutes ces influences apportent à « Sur les falaises de marbre » toutes les caractéristiques d’un album de black progressif, à l’image de la merveille qu’était le dernier Leprous (« Coal », 2013, InsideOut Music.), où des très beaux albums dont nous gratifie Ihsahn depuis quelques années (« Eremita », « Das Seelenbrechen », Mnemosyne Productions.). Je tiens d’ailleurs à retirer ce que j’ai écrit plus haut sur le sampling d’extraits de films. La citation campée au milieu de la première piste est en effet une citation de Marguerite Duras.


Evoquer Marguerite Duras me permet d’en arriver à ce qui sera sûrement le dernier point de cette chronique. Après avoir évoqué l’esthétique de cet album, j’en viens à son fond, à la posture qu’il soutient. « Sur les falaises de marbre » n’est pas un album politique. Il n’a rien de ce qu’a pu faire un groupe comme Peste Noire sur « Ballade cuntre lo anemi Francor ». En revanche, il respire une forme de mélancolie, dont le spectacle est prenant, envoûtant. Une mélancolie blanche, qui transpire cette fierté très française, et qui se cristallise dans une posture réactionnaire finalement assez désintéressée, la posture du sage qui a pris ses distances avec un réel dans lequel il ne se reconnaît plus. Ainsi le sampling de Marguerite Duras prend sur la piste 1, qui évoque grosso modo les ravages du temps (« le poids des années ») tout son sens. Interrogée par Michel Drucker en 1985 à propos de l’an 2000, elle déclare « Je crois que l'homme sera littéralement noyé dans l'information, dans une information constante […]. Ce n'est pas loin du cauchemar. Il n'y aura plus personne pour lire […] Tout sera bouché ; tout sera investi. Il restera la mer quand même, les océans. Et puis la lecture. Les gens vont redécouvrir ça. Un homme un jour lira, et puis tout recommencera […]Ça commencera comme ça, par une indiscipline : un risque pris par l'Homme envers lui-même. Un jour il sera seul de nouveau avec son malheur […]Je me souviens d'avoir lu le livre d'un auteur allemand de l'entre-deux-guerres, je me souviens du titre, Le dernier civil d'Ernst Glaeser. Ça, j'avais lu ça, que lorsque la liberté aura déserté le monde, il restera toujours un homme pour en rêver. Je crois que c'est déjà commencé.". Et la citation d’introduire un break tonitruant. Cette citation est selon moi un élément crucial pour comprendre la philosophie de l’album : Le monde a changé, et ce qu’il est devenu nous a pris notre héritage et notre culture, qui représentait le dernier rempart qui protégeait notre culture. Ainsi l’artwork, représentation froide d’un village abandonné, vraisemblablement dans le sud de la France (influence de Neige et de toute une partie de la scène black française oblige.), nous rappelle à quel point mondialisation et capitaux ont tué ce qui nous représentait. Evidemment mon interprétation est une extrapolation, peut-être fantasque, mais, je crois, tout à fait plausible, du contenu émotionnel de cet album, et, sans la cautionner aucunement, je ne peux que m’incliner face à la représentation qui en est ici faite. L’agressivité réactionnaire se trouve, de fait, non pas annihilée, mais subjuguée dans ce qu’elle a de plus sauvage, et de plus subversif. Le projet Glaciation devient ainsi, je crois, le lieu de rencontre privilégié entre cette facette sombre et crasseuse du black metal (incarnée notamment par plus ou moins toute la Mesnie Herlequin.), et l’autre versant de cette scène, le versant sud, ensoleillé, lumineux ( Je cite presque par réflexe Les Discrets.)


Glaciation nous livre avec Sur les Falaises de marbre ce qui pour moi reste la plus grosse surprise du premier trimestre de 2015. Une grande leçon de black atmo, un condensé de noir et blanc poli et travaillé le plus finement possible. Impressionnant.

P1ngou1n
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le 3 mars 2015

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