Stup Religion
7.4
Stup Religion

Album de Stupeflip (2005)

Faites jamais l'amour et ne gagnez pas d'argent

"Stup Religion" se démarque de son prédécesseur rien qu'en terme d'ambiance punk : la musique est déjà beaucoup plus léchée, moins sauvage que sur la première Ère. De plus, ce premier album posait essentiellement les bases de leurs inspirations et surtout de leur univers, étrange, autiste, et irrémédiablement original. "Stup Religion" prend une autre voie, tout en gardant ses fondamentaux. Dès lors, nous nous retrouvons devant un Frankenstein d'influences, et cette créature aux bras difformes et insensément longs nous emmènent dans un délire unique. Ce disque est une jouissance de tous les instants !
Des statues du Crou s'y trouvent. Je recommande personnellement très chaudement "35 animaux morts", chanson comique et plutot crade ; "L'enfant fou", grand frère de "Le spleen des petits", qui approfondit le King Ju avec subtilité et intelligence ; "Stup Monastère", en même temps que "La religion du Crou", investigatrices d'une fausse couverture religieuse pour parler de la détresse plus globale des gens souhaitant se tourner vers des croyances rescapées...
Mais deux morceaux en particuliers sont pour moi des moments de gloire. "Le Cartable" est une chanson à double sens : une première comique, avec le braillement de King Ju qui contraste violemment avec la voix angélique d'Hélène, pour parler d'un amour impossible à cause de leurs différences de personnalité ; une deuxième lecture raconte plutôt comment une enfant s'entiche de King Ju, majeur, et donc vivant un amour illégal et surtout qui ne va pas dans les deux sens faute de paix dans l'âme. Ce plat agrémenté d'une guitare acoustique, tout en nuances et sensibilités, et un léger clavier commentant tristement l'action, est un délice pour sa personnalité remarquable. On ne ressent jamais la brutalité supposée de son protagoniste, on ressent surtout un personnage extrêmement blessé et incapable d'aimer "comme tout le monde". C'est un truc qui me touche beaucoup. De plus, je crois que n'importe quel homme a envie qu'un jour on lui dise "Tu ne me fais pas peur... Tu sais un jour tu as souris, je sais qu'au fond tu es gentil...". Le deuxième morceau, c'est le final, "Ouest's Region Inquisitor". Chez Stupeflip, les finals sont toujours des morceaux fleuves sans contrôle ; pour moi, celui-là est clairement le meilleur, et une des "chansons" les plus jouissives que j'ai pu entendre. En 8 minutes, elle parvient à résumer un univers musical entier. Tout commence par un dialogue survenu dans l'"Intro" (où on se fait traiter de punaises parce qu'ils sont de retour) ; King Ju intervient, parle des ventes d'album, des gens et des menus McDo, avec une forte présence de mots inversés utilisés pour cacher des choses trop intimes, notamment en évoquant Ardisson (J'aime pas beaucoup les gens, individuellement y'en a pleins qui sont chiants !) ; Cadillac apparait, pour une incroyable parabole, à la fois hilarante et déchirante, avec pour toile de fond lui enfant découvrant que Casimir n'était qu'un costume, ce qui le fait se transformer en Casimor (Qu'est-ce que c'est que ces conneries ?? Papa, les mecs de Stupeflip, ils sont vides, aussi ?) ; MC Salo surgit, pour un rapide slam sans aucun sens basé sur "salo" (Salo a soif ? Salo s'en veut) ; Flip, tout en voix Orwelienne, décrit la cruauté de notre société qui couvre ses drames sous prétexte que ça fait parti des règles du jeu, se terminant par des insultes aux infidèles du Crou ("Y'a les humains qui m'ont dit : t'as du mal à trouver ta place dans la Société ? Prends ça comme un jeu) ; Pop Hip, tête de turc officiel du groupe, enregistre du jamais enregistré en s'amusant du fait que tout ce qu'il dit sera réécouté par l'auditeur, notamment ce magnifique mot qu'est Poivron (Bonjour les gens !! C'est moi qui parle à travers le disque !!) ; un personnage non identifié répète "Les gens au boulot sont jamais vraiment eux-mêmes !" jusqu'au piaillement d'oiseau, un autre le rejoint pour crier "Heureux ! Heureux ! Maintenant j'suis heureux !", tandis que Ju chante en anglais "Tant de douleur dans mon cerveau"... Imaginez la musique aussi anarchique que son contenu (car je ne dis pas tout !), et vous avez un morceau littéralement hors-normes et indéfinissable. Mais c'est clairement un acte totalement fou, dans un état au 40ème degrés, que je trouve fantastique.
Rien que pour eux, l'écoute de cet album vaut le détour !
"Stupeflip" est un concept. Mais sur quoi se tient-il ? Parce que bon, parlons des transitions : on saute d'une invasion médiévale, d'un vieux sage enseignant les lois du commerce, les membres discutant boulot, et une remise des prix à la fin... On peut pas dire que ce soit hyper cohérent, hein ? Quel foutoir ! Mais justement, quel merveilleux foutoir.
Barthélémy et sa bande nous ont fait croire que tout était cohérent, alors que tout était exactement incohérent. Beaucoup ont la théorie que le Mystère au Chocolat, l’une des seules pierres de Stupeflip restant durant les 4 albums, est la relation père-fils. J’aimerais que ce soit le cas, mais je ne crois pas que cela le soit. Le Mystère au Chocolat, c’est la réussite d’un univers entièrement fictif –mis à part des mentions d’artistes réels- alors que les liens entre les morceaux sont extrêmement confus. Cette notion de relation entre les morceaux n’a pu se faire qu’avec l’utilisation d’extraits dialogués, qui utilisait des personnages atypiques et surtout employait un vocabulaire récurrent, se référant tous à des termes qu’on aurait pu voir dans des RPG : le serviteur et le maître, la religion dangereuse, le Moyen-Age assez contemporain… Pour vous prouver cette idée, ce que je viens de dire est incohérent aussi. A cause de l’interlude « Une victoire bien méritée ». Si on suit un peu de logique, je dois avoir à moitié raison. Mais c’est ça qui apporte également la plus grande qualité de ce groupe : son imprévisibilité, sa liberté absolue. Après tout, dans un tout autre style, c’est qui a tant plu dans le Velvet Underground, le fait que ces mecs ne se mettaient aucune barrière ! Là, c’est pareil, sauf que Barthélémy et sa bande ont voulu créer un univers que chacun peut comprendre d’une manière différente, qui lui est propre. Personne ne peut dire comprendre ses fondations, seul Barthélémy sait les 1001 références qui s’y nichent, des références qui nous regardent probablement pas. Il fait ce qu’il veut, et que son monde tienne la route ou pas, l’important reste les morceaux ! Tant que ce monde sert ces morceaux, on s’en fout qu’il se révèle comme un château de sable. Les morceaux restent, ils sont excellents, frais comme des gardons, et ils valent largement cette illusion d’ensemble stylisé à mort. L’exploit de Stupeflip a été de faire croire que leur création avait un sens alors que ces créations n’avaient rien pour coller ensemble. Ils ont bâti leur fiction sur la complicité amusée de leur public.
C’est rassurant de savoir que le public réclame du neuf, alors que tant de résultats prouvent le contraire. C’est rassurant qu’un groupe pareil, avec 3 mecs qui hurlent dans un micro, parlent d’une religion qui n’existe pas et insultent tout le monde, ait pu se faire une communauté de fans aussi fidèles. C’est rassurant que des gens ont grandis aux rumeurs d’un vieil enfant ayant parlé franchement d’un problème universel, c’est-à-dire la réalité étouffante. C’est rassurant qu’une bande au genre non défini, qui aurait pu commencer et demeurer comme une blague, ait dépassé ces préjugés pour imposer ses mélanges détonants. Stupeflip est rassurant, car plein de vie, alors qu’un disque est mort par essence même.
LE STUPEFLIP CROU NE MOURRA JAMAIS

Billy98
10
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le 28 oct. 2019

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Billy98

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